Denis Brohier : “Ce qu’on recherche maintenant, c’est l’aptitude au saut et le look” (part 2)

Marion Vaillant 8 juin 2025

Retrouvez la 1ère partie de cet article en cliquant ici.

D. B. : À l’époque de mon installation, les étalons étaient distribués par les Haras nationaux, souvent sans être testés à l’obstacle. Il y en avait moins pour finalement moins de juments à la reproduction, et quasiment jamais de présentations. Je me souviens avoir organisé une journée pour les 20 ans de Narcos II en 1999, lors de laquelle j’ai présenté les miens et quelques stars du moment, comme Le Tot de Semilly, Papillon Rouge, et même des étrangers comme Animo ou Cumano. Nous avions imaginé une tombola, un gâteau géant, et Serge Balbin était venu faire une démonstration de dressage. Aujourd’hui, nous ne nous contentons pas des catalogues papier. Nous avons besoin d’observer, de voir évoluer les chevaux. Grâce à plusieurs très bons produits, nous avons eu la chance de voyager sur les plus beaux terrains du monde. C’est là que nous avons pu admirer de grands étalons performers ou leurs produits. Au-delà de l’ouverture d’esprit, cela nous a incités à nous intéresser à certains courants de sang et à les utiliser. C’est le cas du Holsteiner Carthago, avec lequel nous avons plutôt eu de la chance [on se souvient du bon Old Chap Tame, ISO 175 avec Eugénie Angot, ou de Panama Tame, ISO 166, confié lui aussi à la cavalière qui l’emmena jusqu’au niveau 4*, ndlr]. Nous avons également utilisé Contender, Kannan, Richebourg, sans oublier Quidam de Revel, et plus récemment Chacoon Blue. Nous avons toujours dû chercher de la génétique mâle à l’extérieur car nous ne pouvions pas utiliser nos propres étalons pour des raisons de consanguinité. Nous avons eu la chance d’assister notamment à l’approbation du Holstein. En réalité, la notoriété de Narcos II nous a permis de développer notre réseau en Europe, que ce soit aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, et d’utiliser certains étalons étrangers. Car les lignées allemandes ramènent souvent du chic mais n’ont pas toujours la tension de dos que je recherche. Elles se marient bien avec nos souches au dos trempé et au super coup de jarret. Aujourd’hui, je recherche davantage de verticalité et de rapidité devant. À titre d’exemple, et parmi d’autres, Cornet Obolensky et Heartbreaker apportent ces qualités.

D. B. : Non, pas du tout. Certes, nous avons vécu une très belle époque grâce à Narcos II, qui fut le premier étalon congelé au Haras des Cruchettes, alors que nous n’avions que des reproducteurs en monte naturelle à la maison comme Quo Vadis, Elf III ou Fair Play III. Nous avons alors construit notre barre d’insémination dans l’ancien poulailler. C’était en 1983 ! Narcos II était la star, au point qu’il y avait une liste d’attente car le nombre de cartes était limité à cent. Mais nous avions aussi Quat’Sous, que j’ai monté jusqu’à 6 ans et dont j’ai vendu la moitié à 7 ans à Guy Martin pour son fils Yannick, puis finalement aux Haras nationaux. J’ai exploité Drakkar des Hutins, acheté à 3 ans, puis sont arrivés Old Chap et Panama. Aujourd’hui, je propose toujours quelques étalons maison, comme Quadrio Tame. Mais depuis cette année, je travaille avec le Groupe France Élevage, qui me confie Casago et Tokyo du Soleil. Leur grande capacité d’investissement, leur force commerciale incomparable permettent de rester compétitif sur ce marché.

Narcos II, star étalon des années 1990. © coll.privée/DR

D. B. : Même si nous avons senti un tassement de la demande en 2024, j’ai toujours vendu la majeure partie de nos poulains à 3 ans, à l’exception de deux à quatre d’entre eux que nous gardons à la valorisation. Ce sont soit de bonnes juments qui feraient de potentielles futures poulinières, soit des entiers susceptibles de devenir étalons. Malgré tout, il est difficile d’exister sur ce marché, et je castre facilement. Ce qui a radicalement changé, c’est l’exigence des clients vis-à-vis de la visite vétérinaire. Plus le temps passe, et moins les acheteurs acceptent le moindre petit souci. Nous faisons passer une visite complète dès 3 ans à tous nos chevaux. Si nous décelons quelque chose, nous les vendons à prix bas. Quand on fait naître des dizaines de poulains, la perte engendrée par ceux qui ne passent pas la visite s’amortit sur le nombre. Il y a vingt-cinq ans, avec six ou sept poulains par an, c’était suffisant. Aujourd’hui, il faut en produire trois fois plus car nous sommes obligés de brader les chevaux à problèmes. En ce qui concerne les attentes des clients, ils recherchent d’abord l’aptitude au saut et le look. Nous vendons 80 % de nos produits à des marchands professionnels et des clients fidèles, et nous présentons deux à quatre très bons sujets aux enchères.

D. B. : Depuis cinq ans, je loue un barn de quinze boxes à Armand Mallet pour ses propriétaires et, en parallèle, il nous facture le travail de nos chevaux de 4 à 6 ans. Nous nous entendons super bien avec lui, c’est un vrai homme de cheval. Les chevaux ne sautent jamais de façon forcée, tout est naturel. Ensuite, nous essayons de trouver de bons pilotes afin de poursuivre son travail au niveau national et international. À l’époque de Narcos II et Quat’Sous, nous travaillions beaucoup avec Éric Navet, puis ce fut au tour d’Eugénie Angot. Le principe est simple : les cavaliers prennent les chevaux selon le principe du “tous frais, tous gains”, avec le versement d’une part des gains à partir d’un certain seuil et une commission sur vente dont le pourcentage augmente au fil des saisons. Après les bons débuts de Farah Tame (Quadrio Tame), nous confions cette saison un 7 ans et un 8 ans à Julien Anquetin, tandis que Clément Boulanger accueille en 2025 deux bons 7 ans et Eugénie Angot, un bon 5 ans.

Par Renaud Rahard

Photo principale de l’article : Lazuli Tame (Armitages Boy, Old), jeune étalon approuvé. @ DR