Le cheval de concours complet, genèse d’un athlète (Part 2/2)

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Une histoire de race ?
“Il n’y a aujourd’hui plus de race de cheval de complet en tant que telle”, analyse Serge Cornut. “Le Selle français permet une diversité incroyable, tout en conservant une base de chevaux qui sautent. Quant au sang étranger, il permet des chevaux faits en montant.” L’éleveuse ligérienne confirme pour ces derniers, qu’elle voit apporter “de l’élégance, du chic et des allures, même s’il faut faire attention au caractère”. Serge Cornut revient alors à l’importance de la souche basse : “C’est elle qui permet de contrebalancer le sang étranger et son caractère, même si aujourd’hui c’est un peu un passage obligé. Je pense notamment à Canturo, qui se remarque en tant qu’étalon dans le complet, car il saute et a beaucoup de sang.” Clin d’œil cette année pour l’étalon Untouchable M, KWPN, père de la gagnante des 6 ans à Pompadour, Iliade de Kerser… et du gagnant des 6 ans à Fontainebleau, Invincible Riverland !
ET L’ANGLO-ARABE ? Race autrefois souveraine en complet, elle connaît aujourd’hui un net recul depuis qu’un type courses et un type sport ont été séparés l’un de l’autre. “Ce sont presque deux races différentes”, estime Thomas Carlile. Il compare les Anglos modernes à de “petits dragsters, ayant peu de locomotion et de qualités à l’obstacle”. Serge Cornut, qui a également travaillé avec l’association de race, réalise le même constat. “On voit cependant une lente évolution, avec une locomotion qui s’améliore et des chevaux qui sautent mieux.” Néanmoins, Thomas Carlile met en avant le fait que l’Anglo reste “excellent en croisement, car il amène de l’influx, de la souplesse et ce côté petit génie”. Il est difficile dans ce contexte de ne pas parler d’Upsilon, AA (ci-dessous), aux qualités assez rares et qui a su séduire deux clientèles. “Très doué à l’hippique, il aurait pu avoir une carrière en CSO, mais le CCE a permis de révéler et de mettre en avant toutes ses aptitudes : la locomotion, le sang, les moyens, le respect, le courage, l’intelligence, la vitesse, l’endurance, la technique à l’obstacle. C’était une affiche publicitaire à lui tout seul”, résume son cavalier. L’Anglo en croisement reste une orientation intéressante pour le concours complet.

Upsilon ©DR
Le SFO, idéal du concours complet ?
Dans cette synergie faisant apparaître un “cheval de selle européen” particulièrement adapté à la discipline du concours complet, Danièle Doumergue souligne néanmoins l’importance de “conserver du sang français, et d’aller vers du Selle français originel”. L’éleveuse n’a pas encore expérimenté d’étalon SFO sur ses juments, mais elle pense à “se servir de certains jeunes étalons avec les courants de sang de Quidam de Revel, Quick Star, Jaguar Mail ou encore Kapitol d’Argonne”. Elle a déjà souvent utilisé Baloubet du Rouet par le biais de ses fils ou petit-fils. “Je trouve qu’il donne des chevaux avec de belles sorties d’encolure, du sang et -de très belles locomotions.” Thomas Carlile estime aussi que le SFO reste intéressant et “excellent en croisement. Je pense à des étalons comme Aisprit de la Loge (Quppydam des Ores) ou Jalou B d’Argance (ci-dessous), (Orient Express), pertinents pour produire en complet. Mais on peut aussi se tourner vers les races Pur-sang et Anglo-arabe, dont certains étalons produisent en SFO. C’est le cas par exemple des Anglo-arabes Ténarèze (Jaguar Mail) – qui a le profil du cheval de sport par excellence –, Prestige Kalone, ou son père Potter du Manaou”.

Jalou B d’Argance ©Coll. France Étalons
“Les SF en CCE, ce sont les meilleurs… ou ils vont l’être.” C’est ainsi que Thomas Carlile définit les chevaux du stud-book Selle français, qui pointe d’ailleurs à la troisième place du classement WBFSH en 2024 pour le concours complet, dans le top 3 pour la cinquième année consécutive. “Ce sont des chevaux assez légers dans leurs corps, bien bâtis, mais charpentés, avec un dos solide. Et surtout, ils ont beaucoup de cœur, qualité que les cavaliers étrangers apprécient énormément”, ajoute-t-il. Preuve en est si on regarde les cavaleries de Julia Krajewski, Sandra Auffarth ou Michael Jung. “Les étrangers aiment ce côté généreux, cette race moderne, professionnelle, qui avance.”
Serge Cornut souligne ici un point essentiel : “La plupart des cavaliers ne s’intéressent pas à la génétique.” C’est ce que constate aussi Thomas Carlile, fort de son expérience au Royaume-Uni. “Il y a peu de fins connaisseurs en termes de génétique dans notre discipline, c’est un manque de racines et cela peut expliquer l’élevage non spécifique.” Le complet est aussi trop souvent une discipline par défaut pour les chevaux d’hippique manquant de qualité. “Ce qui est dommage, car un cheval qui vient en CCE parce que peu généreux sur les barres ne le deviendra pas plus, ajoute Thomas Carlile. Cela contribue à une opacité des performances, avec des chevaux qui se révèlent malgré tout bons en complet… Mais qui y sont arrivés par rebond, et qui ne sont donc pas forcément de bons reproducteurs. Ils sont alors choisis pour de mauvaises raisons par les éleveurs.”
SANG OU INFLUX ? “C’est un grand sujet, analyse Thomas Carlile. Il y a beaucoup de visions différentes.” Pour le cavalier, le sang serait l’aptitude à l’endurance et à la vitesse. L’influx serait quant à lui “l’énergie, la vitesse de réaction très rapide, la capacité à quitter le sol”. C’est ainsi qu’il jugerait beaucoup de Pur-sangs comme étant finalement des chevaux froids. “Ils sont endurants et ont de l’amplitude, mais ils manquent d’influx, ce qui en fait de mauvais sauteurs et peu généreux. Il faut aller vers des Pur-sangs sprinters pour trouver cet influx, ou vers l’Anglo-arabe.”

©Éric Knoll
Un élevage confidentiel
Pour Thomas Carlile, l’élevage de CCE est “une niche très petite. Il y a peu de volonté d’élever pour le complet exclusivement. On y arrive par hasard ou au fil des rencontres, à l’image de Pierre Gouyé, de l’élevage du Loir”. Et l’aspect économique n’encourage pas au développement d’une filière d’élevage de chevaux de complet. C’est à Serge Cornut que nous laisserons le dernier mot : “Faire naître un cheval de complet, c’est finalement un peu un coup de bol.”
Par Astrid Saviez