Entiers : les garder ou pas ? (part 3)

Castrer ou pas
La décision de castrer un entier ou d’en faire un étalon intervient vers l’âge de 2 ans, comme au Haras de Riverland, où soixante-dix poulains voient le jour chaque année. “La première sélection se déroule en interne, sur le modèle, le sang, la qualité de saut, les aplombs et les radios”, indique Mickaël Varliaud, gérant. “Nous affinons notre sélection après les qualificatives étalons de 2 et 3 ans.” En novembre dernier, à Saint-Lô (50), Riverland classait cinq 2 ans dans les treize meilleurs, dont le vainqueur Monaco (Brésil de Riverland) et son dauphin Magnolia (Catoki, Holst). “La décision définitive se prend après les finales du concours étalons. Le comportement est un facteur déterminant mais nous nous adaptons à la personnalité de chacun selon son évolution. Vivre en troupeau habitue les entiers à côtoyer d’autres chevaux, et la préparation aux concours les éduque pour leur future vie sportive. Le système mis en œuvre par le stud-book Selle français et la SHF est très complet”, reconnaît l’éleveur.
Richard Levallois opte pour une castration à 2 ans, après un pré-débourrage lors duquel il teste le potentiel de ses chevaux en limitant ses exigences pour respecter le processus de croissance et préserver leur longévité. “Je leur laisse plusieurs chances de montrer leur qualité”, confie l’éleveur qui n’hésite pas à castrer un candidat étalon dont le caractère devient problématique.
À l’élevage de Massa, fondé en 1979 par Sylvain Massa, les soixante-dix à cent foals de la race Cheval de dressage français évoluent ensemble sur les 400 hectares du site jusqu’à l’âge de 3 ans. Ils sont en groupes de vingt, une stratégie qui permet aux rites sociaux et à la hiérarchie de s’installer naturellement, selon Anne-Sophie de La Gatinais, épouse du fondateur. Les jeunes entiers font l’objet de nombreuses manipulations, mais c’est lors du débourrage, à 3 ans, avant d’intégrer l’écurie de valorisation, que sont identifiés les candidats étalons. Le reste du contingent est castré. “Outre les critères de génétique, de modèle et de locomotion, nous accordons beaucoup d’importance à leur équilibre mental et à leur charisme. Les entiers doivent pouvoir jouer, se bagarrer, avec les risques que cela comporte, mais je veille à ne jamais mêler les classes d’âge chez les mâles, ni à intégrer un nouvel élément.”
“Les entiers recherchent la limite du cadre” Selon Jean-Marie Clair, éducateur équin depuis trente-cinq ans, les entiers ne sont pas plus agressifs que les autres, mais ont des sens plus développés.
“À l’inverse des hongres, en cas de crainte, ils ne sont pas dans la fuite, mais vont au contact pour régler le problème. Les comportements inadéquats sont souvent liés à des frustrations non évacuées.
Au sein des élevages, l’erreur courante est de confiner entre eux les jeunes individus de même sexe qui ne cessent de s’agiter, d’où un risque de blessure accru, au lieu d’intégrer aux groupes des adultes qui les éduquent et font régner le calme. Le processus d’apprentissage est modulable selon les jours et le tempérament de chacun, mais au quotidien l’humain doit être clair et systématique dans ses réponses aux mêmes comportements, car l’entier recherche constamment la limite du cadre. Si en menant un entier au paddock, on le laisse une fois ou deux passer devant soi, il cherchera à s’échapper, voire se mettra debout, c’est le début du désordre. Il faut le maintenir derrière son épaule, à 1,50 mètre, et créer un inconfort en mobilisant ses hanches en cas de débordement. Souvent, les entiers aiment attraper la longe du licol. Je l’accepte, mais ils ont interdiction de me mordiller, sinon je leur donne un petit coup de coude qu’ils trouvent inconfortable. Au bout de quelques tentatives, ils abandonnent. Il faut éviter de les corriger avec la main qu’ils finissent par craindre au moindre geste, lever la tête et se cabrer.”
Le syndrome de l’enfant roi
Les éleveurs interrogés sont catégoriques : avec les entiers, il ne faut rien laisser passer, établir des codes clairs et précis, se montrer rigoureux dans les manipulations et vigilant sur la position du curseur entre familiarisation et respect, faute de quoi on risque de générer le syndrome de l’enfant roi.
Michel Guiot, avec ses entiers, applique les précieux conseils d’Albert Blin Lebreton : pas question de nourrir un cheval au pré, ni d’accepter d’un mâle au box qu’il s’approche sans y être invité. Il se souvient encore d’avoir “très mal élevé” son premier entier en 1997, Jazz de Talma (Voltaire x Barcarole de Sivry). “J’étais comme beaucoup d’éleveurs, on l’admirait, on le trouvait magnifique, on lui tolérait tout, et on en a fait un chien, il était devenu très compliqué. Je me suis promis de ne jamais refaire la même erreur. Et depuis, j’applique à la lettre les préconisations d’Albert Blin Lebreton.”
Tous en conviennent, la gestion d’un entier est réservée aux professionnels, et dans certaines conditions. “On ne peut pas briser le rêve d’un éleveur de faire naître un reproducteur, mais s’il n’a qu’un mâle, il est préférable de le castrer ou de l’intégrer à un groupe chez un autre éleveur”, conseille Michel Guiot.
Claire Bresson pointe, quant à elle, les coûts supplémentaires engendrés par la gestion d’un entier – double box en concours, double place dans le camion – que beaucoup n’ont pas les moyens d’assumer.
Jean-Marie Clair en est convaincu : avoir un entier pour un amateur n’est une bonne idée ni pour lui ni pour le cheval. En cas de problème durant sa carrière ou à l’heure de la retraite se posera la question de l’hébergement, ou de la castration tardive, source de risques et de frais élevés. À ne pas perdre de vue, le jeune entier est comparable à un adolescent auquel il faut constamment rappeler les règles, lesquelles, assimilées au plus jeune âge, facilitent la vie de l’éleveur, du futur cavalier et surtout celle de l’étalon !
Par Béatrice Fletcher
Retrouvez les deux autres parties de cet article ci-dessous :