Chronique par Arnaud Evain : Aux défenseurs du bien-être animal

“Depuis que l’écologie s’est développée en mouvement politique, l’ambition des uns, l’ignorance des autres, le sentiment de culpabilité collective, le cynisme, l’angoisse existentielle et la coupure avec la nature dans ce qu’elle a de plus “naturel” (c’est-à-dire sauvage) font qu’un groupe d’individus a estimé que les animaux avaient à faire valoir des droits opposables aux contrats de symbiose existants.
C’est un contresens mais c’est un fait, et ce courant de pensée, si tant est que “pensée” soit le mot adéquat, va faire évoluer le contrat qui existe entre les humains et les chevaux. Notre obligation principale vis-à-vis des chevaux, en échange des services qu’ils nous rendent, est de veiller à leur bien-être. Elle remonte à 5 000 ans et est très bien résumée dans la célèbre “Prière du cheval”.
Leur redonner leur liberté en 2025 et ne plus les contraindre reviendrait à les abandonner à leur sort et il ne faudrait pas un siècle pour qu’ils rejoignent l’annuaire de plus en plus épais des espèces et races en voie de disparition, comme le sont déjà certaines races de chevaux lourds, d’ânes et nombre de races bovines.
Cela étant dit, nous ne pouvons pas ignorer la présence, au sein des collectivités humaines de certains “gourous animalistes” et de leurs “adeptes”. Les premiers sont généralement plus convaincus de leur importance propre que de celle des théories qu’ils répandent, il est inutile de chercher à les convaincre. Si le terme animaliste est supposé apporter à la cause des animaux les mêmes services que les islamistes à la religion musulmane ou les culturistes à la diffusion de la culture, alors il est bien choisi !
En revanche, il nous faut d’urgence parler de la tribu grossissante des adeptes, en passe de devenir un groupe très influent, dangereux pour la relation homme-cheval, pour leur contrat de symbiose, donc pour nous, qui vivons au contact des chevaux et, donc, pour les chevaux !
Pour s’adresser à eux, le plus tentant est de leur donner des gages de notre bonne volonté et de notre bonne foi. C’est une erreur, car c’est aussitôt assimilé à la reconnaissance d’une forme de culpabilité, et la liste de leurs exigences ne fera que s’allonger jusqu’à devenir absurde, comme c’est déjà parfois le cas. Nous n’avons pas à nous justifier de ce que nous attendons des chevaux, ni à leur démontrer en permanence que nous le faisons de manière irréprochable. Laissons-leur la charge de la preuve !
En revanche, nous devons accepter de prononcer des sanctions sévères contre ceux d’entre nous qui se conduisent mal et ne respectent pas la part du contrat incombant à l’homme, à savoir le respect des attentes de la “Prière du cheval”.
Concrètement, comment fait-on ?
Arrêtons les stewards en gants blancs en sortie de piste pour rechercher les traces d’une écorchure ! Ces petits bobos sont monnaie courante dans tous les stades, tous les week-ends, et si les auteurs de bousculades ou de coups de crampons maladroits étaient frappés d’interdiction, on aurait du mal à faire des équipes de onze pour jouer au foot !
Arrêtons les commissaires au paddock qui mesurent l’angle du chanfrein pour permettre l’oxygénation correcte du cheval à l’effort ! Le mieux est l’ennemi du bien et nous devrions nous concentrer sur les problèmes importants tels que dopage et sensibilisation artificielle à la douleur d’une faute… qui doivent être en revanche impitoyablement sanctionnés !
Ne laissons personne faire à notre place le ménage et la chasse aux quelques brebis galeuses. Les courses y sont plutôt bien parvenues pour le dopage, nous pouvons le faire ! Nos organisations professionnelles, FFE, FNC, SHF… défendent collectivement nos points de vue, mais il nous appartient d’en faire de même individuellement. Allons à la rencontre de ces “adeptes” pour leur expliquer et leur montrer ce que nous faisons au quotidien.
Montrons-leur qu’ils ne souffrent pas forcément de servir mais qu’il leur arrive fréquemment de souffrir de ne plus servir.
Montrons-leur que les chevaux ne réagissent pas comme nous et que, par exemple, quand on leur proposera un espace couvert pour se mettre à l’abri des intempéries, ils préféreront le plus souvent s’exposer au vent et à la pluie plutôt que de s’en protéger. Montrons-leur qu’ils ne souffrent pas forcément de servir mais qu’il leur arrive fréquemment de souffrir de ne plus servir.
Racontons-leur l’histoire de ces chevaux qui se sont laissé dépérir quand ils voyaient les autres partir en concours et qu’eux restaient à la maison.
Parlons-leur de ces chevaux de sport qui dépriment quand on les remet au champ à la retraite, et qui ne bénéficient alors plus des attentions et des soins réguliers de leur entourage.
Expliquons-leur que la recherche du bonheur est une quête de l’humain et que les chevaux se contentent du bien-être. Montrons-leur que cette notion de bien-être passe par la mise à disposition de nourriture et d’eau dans un environnement sécurisant.
Expliquons-leur que les chevaux sont des animaux nomades, qui ont besoin de bouger, et grégaires, qui aiment vivre en groupe, et que ce qui contribue à leur bien-être varie en fonction de leur position dans le groupe.
Expliquons-leur que le stress est un facteur essentiel de leur physiologie et qu’il est impossible de les en débarrasser.
Expliquons-leur que, quand ils vivent en boxes individuels, cette extraordinaire sensibilité fait qu’ils sont le miroir de nos émotions, qu’il faut s’efforcer de les observer et de les comprendre et que c’est ça qui rend passionnante la vie à leur contact.
Bref, expliquons-leur qu’on les aime pour ce qu’ils nous donnent et pour ce qu’ils nous apprennent de nous !
Admettons que tout n’est pas parfait et que nous pouvons ensemble améliorer nos pratiques mais, de grâce, n’ayons pas honte de notre symbiose avec les chevaux ! Ce ne sont pas des animaux de compagnie comme les chiens et les chats, qui sont, à l’état sauvage, des prédateurs quand les chevaux sont des proies. Carnivores, omnivores et herbivores n’ont, du fait de leur conduite alimentaire, pas les mêmes comportements.
Les chevaux sont moins agressifs que les chiens, plus fidèles que les chats, moins intelligents que les cochons et les rats, plus sociables que la plupart des herbivores et ont une mémoire extrêmement précise des lieux et, des situations.
C’est sur ces particularités que s’est construit notre contrat de symbiose avec eux ! Ne l’oublions pas et exécutons le mieux possible notre partie du contrat, mais ne nous l’interdisons pas et ne laissons personne nous l’interdire. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons nous efforcer sans relâche de faire ce qu’il faut pour bien “vivre ensemble” au sein de la communauté des êtres humains.
En ce sens, si demain je me retrouve devant un animaliste et un cheval en détresse et que je ne peux en secourir qu’un des deux, et malgré tout ce qui précède, je suis convaincu que c’est l’animaliste qui sera l’objet de mon choix…”
Par Arnaud Evain – Fondateur associé de l’agence Fences – Président du Groupe France Elevage – Eleveur