Entiers : les garder ou pas ? (Part 1)

Lilou Pin 10 juillet 2025

Image d’illustration : Certains aménagements, tels les boxes sociaux proposés par la société Horse Stop, permettent aux entiers d’avoir des interactions avec leurs congénères. ©Coll. Horse Stop

“Garder un mâle entier, c’est le début des emmerdes”, sourit un éleveur-étalonnier pourtant confirmé. Prouvant ainsi la constance de cette préoccupation partagée par tous les éleveurs de chevaux de sports. Éleveurs qui, rappelons-le, sont pour la très grande majorité (80 %) à la tête d’un cheptel composé d’une seule poulinière et de ses derniers produits encore au pré. Dès la fin de la première année, en effet, se pose la question : comment faire vivre cet animal grégaire, qui a besoin d’interactions avec ses congénères, mais dont les hormones peuvent faire craindre une cohabitation pas toujours innocente ?

C’est le cas de Valérie Gosse, basée à Berny-Rivière (02), qui a réduit son effectif à une seule poulinière. Outre son “adorable” Eglantin, qu’elle a gardé entier au prix d’une vigilance particulière jusqu’à l’âge de 14 ans, tout mâle né sur la propriété a toujours été confié à un autre éleveur. C’est le cas de Nomade d’Eos (Omano BC), en pension avec trois autres entiers, moyennant un surcoût mensuel auquel elle consent au vu des qualités de son mâle de 1 an. “S’il devient reproducteur, il restera dans la même structure, beaucoup plus adaptée que la mienne, sinon je le castrerai et je le garderai pour moi”, confie Valérie. Les raisons de son choix ? De bonnes conditions d’accueil et d’élevage d’un mâle nécessitent une certaine superficie, d’autres individus permettant de le faire vivre en groupe, ainsi que des moyens humains et matériels. Une grande majorité d’éleveurs amateurs, peu équipés pour élever un mâle, choisit ainsi en général de le castrer ou de le confier. 

Élodie Alaj accueille deux à trois poneys de sport par an à Huchenneville (80). “Quand un mâle vient au monde, il est vendu à 6 mois ou castré, car sa gestion est très compliquée… À moins d’en avoir au moins deux.” Parmi les produits maison, Hope de Jolb (Tycoon Carwyn, PFS), approuvé, mais finalement castré au vu des difficultés en compétition, Gin Tonic de Jolb (Jobic de Coatreal, Co) et Fearless de Jolb (Dexter Leam Pondi, Co), encore entier au cas où il tournerait en Grand Prix. Sa gestion est toutefois confiée à un cavalier. “Nous évitons de nous compliquer la vie”, reconnaît Élodie.

Élever un entier, pour nombre d’éleveurs, semble donc être un casse-tête. L’étalon, symbole de noblesse, puissance et liberté, véhicule, souvent à juste titre, l’image d’un fort caractère, difficile à maîtriser et imprévisible. Qu’en est-il de sa croissance et de ses besoins dans des conditions naturelles ? Son rôle consiste à veiller sur un harem de juments, suitées ou non. Dès le plus jeune âge, les mâles s’adonnent au jeu social, simulacre de combat livré avec plus ou moins d’intensité, se mettent à genoux, se cabrent, ruent ou mordent, autant de rituels d’apprentissage des indispensables compétences sociales. “Le jeu n’est pas toujours tendre, reconnaît l’éthologue Hélène Roche. Il ne vise cependant pas à porter atteinte à un rival pour l’éloigner, et demeure réciproque, marqué par une certaine lenteur des gestes et mouvements. Il est généralement empreint de bienveillance de la part de l’étalon mature face aux juvéniles. Malgré des attaques répétées, les oreilles ne sont pas plaquées sur la nuque, l’expression faciale caractéristique avec sourcils et mâchoires crispées n’apparaît que si le congénère va trop loin.” 

Pour les jeunes mâles, la vie en groupe est synonyme d’apprentissage. ©Coll. Haras de Talma

Le sevrage social a lieu vers 2 ou 3 ans. Les adolescents quittent le troupeau familial pour rejoindre un groupe de mâles célibataires ou chefs de famille déchus d’âges différents. Les jeunes mâles sont encadrés par un ou plusieurs adultes tolérants mais fermes, un rôle de surveillant général et d’éducateur parfois éprouvant avec les poulains turbulents. Le turn-over des chefs de groupe est assez important, mais il est extrêmement rare qu’un étalon soit privé de contact social. “Le mâle est adulte à l’âge de 5 ans car, en dépit de sa maturité physiologique à se reproduire, il n’a pas accès aux juments”, conclut Hélène Roche. 

En dépit de 4 000 ans de domestication, les comportements et besoins de l’espèce demeurent identiques. L’éthologue est formelle : déroger aux conditions de vie naturelles, particulièrement la vie en groupe, expose à des difficultés. “La faculté d’adaptation du cheval a ses limites. En raison d’une concurrence potentielle, l’entier est préoccupé par l’activité des groupes voisins. En liberté, il est en mesure de gérer les distances avec ses rivaux, mais en conditions domestiques, les clôtures l’en empêchent. Il faut donc éviter le contact visuel entre pâtures. À l’écurie, outre un régime alimentaire suffisamment riche en foin pour satisfaire ses besoins et l’occuper, il convient de lui ménager un espace de liberté individuel et des séparations de boxes autorisant un contact minimum, faute de quoi le jeune mâle, stressé, est moins disponible pour son apprentissage. De plus, les étalons ne sont pas sélectionnés sur leur mental, mais sur leur potentiel génétique, leur modèle, leur locomotion et qualités sportives”, affirme Hélène Roche. 

À suivre…

Par Béatrice Fletcher