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L’Expérience

La toise des poneys, une épine de taille dans le sabot de la filière – Partie 1

Guillaume Levesque 18 mars 2024

Le manque de fiabilité des toises des poneys de concours renseignées dans la base de l’IFCE pose une vraie difficulté depuis toujours, notamment pour le calcul des indices de performances. Indices de performances qui pourraient, à terme, perdre de leur crédibilité, tout comme les indices génétiques. Historique et explications d’une problématique devenue bien délicate.

Le sujet de la toise est un sujet qui a toujours suscité bien des passions, des jalousies, des frustrations, des sentiments d’injustice vis-à-vis de compétiteurs qui paraissent équipés de poneys trop grands, ce qui leur conférerait un avantage de compétitivité sur des cavaliers aux rênes de poneys plus petits, respectant la taille limite. L’exemple parfait n’est d’ailleurs autre que celui des affiches collées sur quelques portes de boxes lors de championnats d’Europe, mentionnant l’interrogation « ça, un poney ?! » Des sentiments basés sur la simple expérience et l’appréciation à l’œil de la taille, confrontée à un toisage précis. Or, il n’y a rien de plus trompeur que la toise apparente d’un poney : celui qui ressemble complètement à un cheval (probablement parce qu’il a un pourcentage élevé de sang cheval quand ce n’en est pas un à 100%), avec énormément d’étendue et de très grands rayons, va paraître incomparablement plus grand que celui qui est compact avec des rayons réduits. Cependant, leurs toises au garrot peuvent en réalité être identiques, voire à l’inverse de ce qui semblait évident. Nombre de personnes de terrain ont d’ailleurs vécu de drôles d’expériences après avoir toisé eux-mêmes des poneys qu’ils avaient mal estimés à l’œil. Attention donc aux certitudes autour d’une carrière : « Et bien celui-là, s’il est dans la taille…», car il peut l’être !

Par ailleurs, le garrot n’est pas un point fixe, ni définitif. Pour l’homme de cheval et de poney suisse Christian Sottas, gérant d’une écurie de compétition et ancien entraîneur national de l’équipe de poney de son pays, « le garrot n’est pas attaché par une clavicule ni un os, mais est supporté par une masse musculaire. Sa hauteur peut donc varier. Une étude en Suisse a ainsi démontré qu’il peut y avoir jusqu’à quatre centimètres de différence entre un poney musclé et tendu, stressé ou impressionné au moment du toisage et le même poney non musclé et totalement relâché ». Alors comme un toisage est réalisé à l’instant T d’un jour J, il est possible que dans d’autres circonstances, le poney ne toise plus exactement la taille mesurée à une autre période.

Plusieurs toises

Les poneys en France peuvent être toisés par trois organismes : la Fédération française d’équitation (FFE), la Société hippique française (SHF) et la Fédération équestre internationale (FEI).

À la FFE, avant 2014, les tailles étaient renseignées à titre indicatif au moment de l’enregistrement du poney par son propriétaire sur la liste nationale, sans aucune vérification. Puis, à partir de 2014, seule la catégorie de taille des équidés a été consultable sur le site de la fédération, bien qu’une taille en centimètres était toujours demandée lors de l’enregistrement de l’équidé. Et depuis fin 2016, lors de l’enregistrement sur la liste FFE, le propriétaire d’un poney n’est plus tenu de renseigner la toise exacte, mais doit simplement sélectionner la catégorie de taille A, B, C ou D. « Cette décision a été prise par le bureau fédéral, les règlements de compétition ne faisant état que de catégories de taille de poney (A, B, C et D) », explique l’institution française. Une des raisons importantes de ces évolutions n’a été autre que le nombre de litiges que la FFE a dû gérer du fait des tailles enregistrées erronées. Mais la Fédération ou l’organisateur d’un concours peuvent vérifier à tout moment la catégorie du poney en contrôlant sa taille par le biais d’un toisage officiel. 

Le toisage de la Société hippique française, quant à lui, s’effectue lors des finales des jeunes poneys : tous les quatre, cinq, six (et les sept ans également, bien que gérés par la FFE, en tout cas jusqu’en 2022 puisque pour la première fois, en 2023, le championnat des sept ans n’a pas été organisé pendant le Sologn’Pony, mais pendant le Generali Open de France de Lamotte-Beuvron) sont toisés pendant les finales des Cycles classiques des trois disciplines olympiques, ainsi qu’en hunter et en attelage.

Enfin, la toise de la FEI semble la plus aboutie et prime sur toutes les autres en cas de conflit à ce sujet.

Le toisage FEI : vers une plus grande justesse

La taille FEI étant celle qui prime sur toutes les autres, faisons ainsi le point sur l’historique des modes opératoires de toisage de cette institution. Jusqu’en 2007, la Fédération équestre internationale déléguait aux fédérations nationales la toise des poneys concourant en épreuves internationales : un certificat de toisage authentique et signé par les fédérations sur la base d’un toisage effectué par un vétérinaire désigné par lesdites fédérations était requis. En dessous de l’âge de huit ans, ce certificat était valide jusqu’à la fin de l’année calendaire et il était définitif – sauf si le poney changeait de fédération nationale ou si le jury du concours exigeait un nouveau toisage auprès de sa fédération nationale – à partir des huit ans du poney. Un poney devait mesurer au maximum 1,48 mètre non ferré ou 1,49 mètre ferré (une tolérance arbitraire et habituelle pour la ferrure). 

En 2006, aux championnats d’Europe de Saumur, face aux abus évidents de quelques nations en particulier les années précédentes, avec des poneys éhontément hors taille, un toisage officieux, seulement informatif, a été réalisé sur place avant le début des épreuves. Les résultats ont été probants : en off, le champion d’Europe Micklou Madness a été toisé 1,56 mètre, Kadia Mouche, également dans l’équipe britannique, 1,54 mètre… et ils ne furent pas les seuls à avoir été toisés hors taille. 

Face à cette situation, la Fédération équestre internationale a décidé d’un nouveau règlement. Entre 2007 et 2019, le toisage des poneys fut ainsi géré par le département vétérinaire de la FEI. Pendant cette période, les poneys tournant en épreuves internationales n’avaient plus de certificat de toisage, mais étaient toisés de manière aléatoire lors d’une épreuve (ce qui s’est finalement avéré assez rare puisque cela a été réalisé entre quatre et neuf fois selon l’année) et de manière systématique aux championnats d’Europe avant le début des épreuves. Ce toisage était effectué par deux vétérinaires différents, désignés par l’institution internationale. La taille maximale des poneys non ferrés n’avait pas changé et était toujours de 1,48 mètre, mais compte tenu des conditions de concours, la tolérance était passée à 1,51 mètre ferré. 

Depuis 2020, face à la pression pesant sur les très jeunes cavaliers dont les poneys étaient en limite de taille de voir leur monture échouer au terrible examen vétérinaire et de se voir éliminer des championnats sur place, après toute une saison de concours qualificative, il a été décidé d’un nouveau mode opératoire. Désormais, sont organisées chaque année, dans des stations de toise des différentes nations, des sessions de toisage FEI où les poneys inscrits sont mesurés par deux vétérinaires approuvés par cette dernière, de nationalités différentes, n’appartenant pas à la fédération nationale accueillant la session et dont les noms sont gardés confidentiels jusqu’à l’ouverture de la session. 

Les poneys doivent encore et toujours mesurer maximum 1,48 mètre non ferrés et 1,499 mètre ferrés, ce qui laisse passer les poneys toisant, dans des conditions normales et habituelles, 1,52 mètre ferrés du fait de la préparation des pieds et de la ferrure qu’il est possible de leur faire subir et porter un jour J, sans qu’ils ne boitent pour autant (car les vétérinaires toiseurs les disqualifieraient), mais éventuellement sans qu’ils ne soient non plus capables de sauter voire travailler pendant quelques jours ou semaines. Un poney toisé “hors taille”, comme on le dit, peut participer la même année à une autre session, puis, s’il ne correspond toujours pas aux critères de taille, une fois par an lors des deux années consécutives suivantes. Au total, un poney peut ainsi être mesuré quatre fois au cours de trois années consécutives, après quoi il sera définitivement écarté du circuit FEI poney s’il ne mesure pas officiellement moins de 1,50 mètre ferré. Notons que les poneys de six à huit ans reçoivent un certificat provisoire de quinze mois, quand ceux d’au moins huit ans reçoivent un certificat à vie et ne peuvent donc plus se faire exclure du circuit. 

Soulignons également au passage que, lorsque l’on connaît l’origine de cette détermination d’1,48 mètre pour la taille maximale des poneys (tout simplement basée sur les standards des livres généalogiques des poneys de races dites “pures” qui n’ont en réalité pas ou plus lieu d’être dans le sport), on peut se demander pourquoi la taille maximale des poneys de sport, avec des adolescents qui sont de plus en plus grands, ne passerait pas à 1,50 mètre non ferré (soit 1,51 mètre ferré et 1,519 mètre avec la tolérance – ce qui laisserait passer des équidés jusqu’à 1,54 mètre ferrés en conditions normales et habituelles)…

Concernant la fiabilité des tailles enregistrées dans la base de l’IFCE, nous avons interrogé les instances nationales sur cette problématique qui s’apparente à un véritable serpent de mer. 

La suite de cet article est à découvrir demain sur leperon.fr

Crédit photo à la une: Guillaume Levesque