Le marché du hunter : Ce n’est pas toujours l’Amérique !

Le beau geste, à chaque foulée du parcours, ce travail pour arriver à la cadence, à la distance, au plané parfait, servi par une présentation grand soir, c’est le mantra des cavaliers de hunter, à la poursuite d’un idéal d’équitation parfaite…
Mais l’idéalisme ne nourrit pas son homme (ou sa femme). Et passé le couronnement des héros de la Grande Semaine de hunter 2024, quel peut être l’avenir de Killaloo Tuiliere (Diamant de Semilly x Cornet Obolensky, BWP), Fier l’Evidence Z, (Faraquao l’Evidence x Sioux du Godion) et Ieldorado van de Rib (Sandreo, KWPN x Wonderboy, BWP), respectivement Excellents à 4, 5 et 6 ans, et de leurs camarades de championnat? Bien sûr, certains propriétaires souhaitent garder leurs chevaux dans la discipline. D’autres, une fois cette remarquable étape éducative effectuée, les orientent vers le saut d’obstacles. Mais comme dans les autres disciplines, élever et transformer conduit à examiner l’hypothèse de la commercialisation. Et là, les regards se tournent vers l’Amérique, marché solide mais demandant un rien d’initiation… et de trésorerie pour s’assurer d’un succès.

François Pasquier connaît parfaitement le marché américain et sait comment former et présenter un cheval dans une optique d’exportation. ©PSV
TOUT CANDIDAT À L’EXPORTATION DOIT AVANT TOUT ÊTRE CHIC.
LE HUNTER STYLE : UN DYNAMISME MODÉRÉ EN FRANCE
En dépit des efforts fournis par ses aficionados depuis plus de trente ans, la discipline du hunter style, unanimement reconnue pour sa valeur de formation, peine encore à séduire en France. Absence de gains et d’indices valorisant les performers, manque de concours, rigueur du jugement, cheval inadapté, manque de temps ou de compétences pour l’éduquer.. Autant d’explications à un engouement modéré des cavaliers, et à l’indolence du marché. Seul espoir pour les adeptes de la discipline : garder les yeux rivés outre-Atlantique, et rêver d’y commercialiser leur protégé pour des sommes faramineuses. Lors d’un premier voyage aux Etats-Unis en 1980, Adeline Wirth-Nègre découvre la discipline du hunter, passage obligatoire pour tout cavalier. Fascinée par la rigueur, l’esthétisme et le perfectionnisme des cavaliers américains, en 1985, elle convainc la fédération, dont le président Jean-François Chary, Michèle Cancre et Philippe Jouy, de créer une commission dédiée où elle siège comme présidente puis membre jusqu’en 2000, avant de piloter la commission hunter de la SHF jusqu’en 2024. L’aventure du commerce avec les États-Unis débute dans les années 1990, lorsque son époux Eric Nègre vend Essor de Gamet (Veneur du Prélet), alias Aspen.
LE HUNTER STYLE EN CHIFFRES Lors de la Grande Semaine 2024, cinquante-deux finalistes de 4 à 6 ans étaient en lice en hunter, contre 787 en saut d’obstacles. L’an dernier, près de 230 concours de hunter ont eu lieu au sein de l’Hexagone, et dix fois plus en saut d’obstacles (près de 2 700 compétitions). B.F.
L’ÉLOGE DE LA LENTEUR
Adeline l’affirme, il existe un marché pour les chevaux de hunter aux États-Unis, mais que les rêveurs ne s’y trompent pas : “Les Américains n’importent que des chevaux de top qualité, et la liste des exigences est longue.” Tout candidat à l’exportation, âgé de préférence de 5 ans et plus, doit avant tout être chic, doté d’une belle encolure et d’une petite tête expressive. Il sera éventuellement retenu s’il affiche un style parfait à l’obstacle, avec les genoux côte à côte sous le menton, décrit une parabole de saut parfaitement ronde, illustration d’une technique irréprochable jusqu’à 1,30 mètre. Critères incontournables : un calme olympien, une extrême lenteur doublée de tonicité et d’une cadence de métronome dans les déplacements, en particulier au galop, que les acheteurs préfèrent rasant. Paradoxalement, la lenteur, considérée comme un défaut pour le jumping, devient une qualité pour le hunter. Si la taille n’est pas déterminante, les Américains sont prêts à des concessions sur le modèle et les allures, mais inutile de présenter à un client un jeune cheval qui ne change pas de pied naturellement lors de tout changement de direction. Adeline met en garde les amateurs persuadés que leur cheval, doté d’une seule des qualités requises, peut être performant et séduire un client étranger. Elle constate que les Américains trouvent régulièrement leur bonheur en Hollande et en Allemagne, où l’accent est mis sur l’éducation des chevaux de 4 et 5 ans, qui se voient attribuer toute la saison des notes de style et ce, de manière prédominante sur le score en points. “Le cheval français, avec son génie et sa gentillesse, reste selon moi le meilleur, mais il est difficile de rivaliser avec nos voisins pour le modèle et le style”, conclut-elle.

Après une démonstration lors de la finale à Fontainebleau, où il glane la mention Excellent, quel avenir pour le 6 ans Ieldorado van de Rib (Sandreo, KWPN x Wonderboy, BWP) sur le marché du hunter ? ©PSV
CRITÈRES POUR LES ÉTATS-UNIS
- Petite tête expressive
- Belle encolure, chic
- Style parfait à l’obstacle
- Genoux sous le menton
- Oreilles en avant
- Calme olympien
- Extrême lenteur doublée de tonicité
- Cadence de métronome
- Galop rasant
- Changement de pieds naturel
Un diamant brut à polir
Pour les Américains, les performances françaises ne constituent pas une plus-value, dans la mesure où le processus de valorisation débute au moment où le cheval intègre leurs écuries. C’est pourquoi leurs offres n’excèdent pas le prix de marché français. Encore faut-il que le candidat à l’exportation satisfasse aux exigences sanitaires. À quelques exceptions près, les États-Unis refusent catégoriquement les chevaux positifs au test de la piroplasmose pour éviter sa propagation. À l’atterrissage sur le sol américain, tous intègrent un centre de quarantaine. Les hongres sont retenus durant trois jours, moyennant 770 euros, mais les juments et entiers âgés de plus de 2 ans subissent des examens complémentaires, à raison de quatorze jours pour les femelles, pour un coût de 3 000 euros, et de trente jours pour les entiers, ce qui fait doubler la facture. Les entiers, n’ayant pas la faveur des Américains pour le hunter, devront en général être castrés avant leur départ moyennant des frais supplémentaires et une convalescence de deux mois à la charge du vendeur. Le coût du transport aérien, qui varie selon la destination choisie, n’est pas anodin.
Selon Olivier Bossard, fondateur d’Equi-Services, un atterrissage à New York est facturé 8 000 euros, 10 000 euros à Los Angeles et 11 000 euros à Miami. Reste à financer les visites vétérinaires et tests sanguins, l’assurance, ainsi que le déplacement du cheval jusqu’à la base de son transporteur, puis jusqu’à sa destination finale.
Une fois toutes ces étapes franchies, et ces factures acquittées, à charge pour le coach ou l’entraîneur de mettre son nouveau protégé dans le moule du système américain, de le sortir en épreuves pendant plusieurs mois, condition sine qua non pour séduire le client potentiel et espérer une plus-value substantielle. “L’idéal pour espérer un profit est de se constituer un réseau aux États-Unis, confie Adeline. Il faut travailler en partenariat avec un professionnel qui met le cheval en valeur, en garder une part, si possible sans assumer les frais de transport et d’entretien, dont le coût est environ trois fois supérieur à celui de la France.” Selon une étude américaine, le prix de pension moyen avoisine les 27 000 euros annuels – soit 2 250 euros par mois –, sans compter les frais annexes, dont les coûteux déplacements d’un bout du territoire à l’autre pour suivre la saison de compétition. En dépit de trente ans d’expérience et d’un solide réseau de professionnels fidèles, Adeline admet n’exporter que trois chevaux par an au maximum.
“L’idéal pour espérer un profit est de se constituer un réseau aux États-Unis” Adeline Wirth-Nègre
Attirer les professionnels
Ronan Hémon, président de la commission hunter de la SHF depuis octobre dernier, est rompu à l’exercice de la préparation et de la présentation des chevaux. Parmi ses protégés qui ont survolé l’Atlantique, Playboy des Cresles (Indoctro, Holst), Arnaud Del Colle (Cabdula du Tillard), Ubu du Reverdy (Allegretto), Athos van het Poeleind Z (Arko III, Old), vainqueur des 6 ans hunter et performer en Derby aux États-Unis, ou encore Ubella du Rouet (Opium de Talma). Afin d’attirer les professionnels vers la discipline, et de dynamiser le marché, la commission s’est fixé comme objectif d’enrichir le calendrier 2025 à raison d’un concours par région, en semaine et labellisé, soit des points de qualification doublés. “La volonté de la SHF est de soutenir les cavaliers et éleveurs à former leurs chevaux, de détecter les chevaux adaptés grâce aux experts de la commission et d’inciter les professionnels à diriger leurs chevaux vers ce créneau, notamment les sujets très calmes, sages, stylistes et bien éduqués pour lesquels il existe un marché en France parmi les amateurs. Dans tous les cas, l’expérience est enrichissante”, conclut le président. Enrichissante, l’expérience ? Spirituellement sûrement, financièrement pas toujours !
Par Béatrice Fletcher