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L'Echo

Polémique autour de la vente des Islots

Sylvia Flahaut 22 juin 2023

Le 13 juin dernier, un opérateur de ventes aux enchères bien connu dans la filière cheval a procédé à la mise en vente de quelque deux-cent-cinq poneys et chevaux issus de l’élevage des Islots. Leur commercialisation, dans le cadre d’une réduction d’effectifs, pose aujourd’hui question et soulève la controverse. 

Cent-soixante poneys et une trentaine de chevaux issus de l’élevage des Islots, dédiés au sport et à l’élevage, ont été mis en vente sans réserve le 13 juin dernier. La vente s’est déroulée en direct, sur internet, et en physique, mais sans que les chevaux soient visibles sur place, lors de la vente. Ils se trouvaient à quelques centaines de kilomètres de là, dans de vastes pâtures, à Ducey, dans la Manche. “Nous avons pu les voir en photos et par le biais de quelques courtes vidéos”, pointe Anna Jidkoff, gérante d’un centre équestre en Seine-et-Marne, qui s’est portée acquéreur d’un hongre de huit ans. “Je suis une habituée des ventes aux enchères. Au départ, sur cette vente, je visais une autre ponette, que j’ai manquée”, poursuit la gérante. “J’ai donc enchéri sur ce cheval, que j’avais uniquement vu en photo. On ne voyait cependant pas très bien son corps, et les images étaient davantage centrées sur sa tête. Étant donné qu’il n’était pas prévu que je participe à cette vente, je ne me suis pas déplacée jusqu’en Normandie, au préalable, où étaient stationnés les chevaux. Sur la fiche de ce cheval, de mémoire, il y a avait ses origines, qui me plaisaient, une note d’aplomb de 4 sur 5, et une note de conformation physique de 2,5 sur 5. Cela traduisait, selon moi, que le cheval ne bénéficiait pas d’un modèle harmonieux, pas qu’il était rachitique.” Anna explique qu’elle avait perçu que le hongre, en photo, n’avait pas un joli poil et qu’il était un peu “fit”. Mais elle a eu une surprise lorsque ses parents, qui sont allés chercher le cheval, l’ont contactée par téléphone depuis les prés de l’élevage des Islots. 

“Pas un seul crottin en cinq heures”

Ma mère m’a décrit le cheval comme étant dans un état squelettique et elle m’a demandé quelle décision il devait prendre, le laisser sur place ou l’embarquer quand même. L’éleveur leur a dit qu’il n’était en effet pas très beau et que s’ils ne le prenaient pas, il irait probablement à la boucherie. Il était dans un paddock en sable et, un peu plus loin, il y avait d’autres poneys et chevaux. Tous n’étaient pas en mauvais état.” Les parents d’Anna font alors le choix de prendre le cheval et de le ramener à leur fille, en Seine-et-Marne. “En cinq heures de route, il n’a pas fait un seul crottin dans le camion et depuis qu’il est à la maison, voilà quelques jours, il a en permanence le nez dans le foin et commence à reprendre tout doucement.

Indignée, Anna Jidkoff a choisi de publier une photo de ce cheval sur les réseaux et de faire connaître sa mésaventure. “Quand on a un cheval comme ça dans son écurie, on s’en occupe, on fait quelque chose”, poursuit-elle. “Et, selon moi, l’opérateur de la vente, qui prend quand même une commission, aurait dû avoir connaissance de ce qu’il commercialisait. Ce n’est pas normal et j’ai l’impression qu’il y a parfois deux poids deux mesures. En tant que gérante de centre équestre, en dix ans, j’ai dû avoir quatre contrôles. Pourquoi cet éleveur est-il passé entre les mailles du filet avec ses quatre cents chevaux ?” Anna et l’opérateur de la vente ont été en contact, et ce dernier lui a proposé de la rembourser. “Je n’ai pas fait ça pour faire du tort à l’opérateur, je n’ai pas envie que sa boîte coule, ce n’est pas mon objectif. Mais cet éleveur est apparemment connu comme le loup blanc, et le fait que tout le monde sache et se taise m’indigne. Comment peut-on mettre en vente des chevaux dans cet état ?” Anna indique que certains autres acheteurs ont également eu de mauvaises surprises, et récupéré des poneys et chevaux dans un état très moyen. “Apparemment, des acquéreurs souhaitent récupérer les poneys qu’ils ont achetés, mais l’éleveur refuse désormais de leur donner.

Sur les réseaux sociaux, l’état déplorable de l’équidé mis en vente est pointé, la négligence de l’éleveur et le manque de sérieux de l’opérateur de vente, mis en cause. “Quand je vois les images des poneys achetés par l’intermédiaire de cet opérateur, j’ose espérer que le pourcentage qu’ils ont retiré de cette vente va aller tout droit à des associations. Et d’ailleurs, où sont-elles ? Je suis étonnée du silence de L214, de la Fondation Brigitte Bardot. Le seul “avantage” que je trouve à cette triste affaire, c’est qu’il démontre aux animalistes ce qu’il se passe quand les chevaux sont à l’état naturel et quand l’homme ne s’en occupe pas !”, indique Anne Dafflon, gérante de l’élevage de Lanlore, indignée par cette affaire.  

Un contrôle de dernière minute manqué

Suite à cette polémique qui enfle depuis quelques jours, l’opérateur a publié ce communiqué sur sa page Facebook jeudi soir : “L’opérateur a investi dans un tri qui a été fait par des professionnels. Lors de ce tri effectué le 13 avril l’état des chevaux et les aplombs ont été signalés et notés. Durant l’intervalle entre le tri et la vente, le propriétaire était tenu de les entretenir en bon père de famille. L’opérateur s’engage à gérer chaque dossier au cas par cas et invite les propriétaires à contacter le gérant dès demain matin par téléphone.” 

Interrogé, l’opérateur de la vente se désole de la tournure prise par les événements. “On s’est rencontrés avec Jean-Yves Leboucher, l’éleveur, mi-mars, et il m’a dit qu’il avait besoin de se séparer de nombre de ses chevaux. C’est un élevage atypique, il possède quatre-cents équidés, dont beaucoup sont à l’état sauvage et ne pouvaient être présentés au bout d’une longe. J’ai contacté Sébastien Jaulin, éthologue, pour référencer les poneys et chevaux choisis par l’éleveur et devant être présentés à la vente, et il a fait une expertise sérieuse, avec une équipe, pendant huit jours.” Référencement, étude des lignées, photos, vidéos, quelque deux cents poneys et chevaux sont passés en revue. “Lors de la vente, je me suis refusé à ce que les poneys et chevaux partent à moins de 1000 euros, pour ne pas qu’ils prennent la direction de la boucherie. On savait bien que, vu l’état sauvage des chevaux, c’était un dossier un peu compliqué et nous avons travaillé avec attention aux conditions générales de vente avec mon avocat. Lorsque j’ai vu la publication sur les réseaux de ce hongre très maigre, j’ai publié un communiqué en demandant aux acquéreurs insatisfaits de me joindre. Chaque cas sera étudié et aucun poney ou cheval ne sera bien évidemment acheté sous la contrainte…Les acheteurs seront remboursés sans discussion.” Interrogé sur l’état de santé des poneys et chevaux présentés, l’opérateur indique qu’il n’a pas eu connaissance de problèmes, et qu’il a fait confiance aux experts ayant procédé au référencement, ainsi qu’à l’éleveur, qui devait entretenir ses équidés jusqu’à la vente. “Un vétérinaire devait passer faire un dernier passage en revue des chevaux 48 heures avant la vente, mais ce rendez-vous a été  annulé.” Une visite qui aurait sans doute évité d’en arriver à cette mauvaise publicité, dont l’opérateur se serait sans doute bien passée. “Bien évidemment, si j’avais eu connaissance de l’état de ces chevaux, jamais ils n’auraient été présentés à la vente.

“Des chevaux à donner, pas à vendre”

Mathieu Cotiniaux a travaillé lors de cette vente, en tant que speaker. Il indique n’avoir jamais vu les chevaux en amont de la vente ou pendant celle-ci, qui a eu lieu dans la salle des ventes de l’opérateur, dans la Sarthe. “Il faut savoir que la sélection des chevaux a été faite par l’éleveur et non pas par l’opérateur de cette vente”, pointe Mathieu Cotiniaux. “Au mois d’avril, l’opérateur a mandaté des experts, dont un éthologue, pour établir un référencement des poneys et chevaux. L’opérateur ne sélectionne pas directement comme le fait par exemple Fences, il apporte uniquement son expertise logistique et juridique.” Mathieu Cotiniaux pointe ainsi le manque de rigueur des experts mandatés par l’opérateur en amont de la vente, lors du référencement. “Ils ont rempli des fiches mentionnant certaines caractéristiques, en signalant des chevaux en moyen état, borgnes ou ayant un pied bot, mais n’ont pas véritablement alerté l’opérateur sur le fait que ces chevaux n’allaient de toute façon pas être en état d’être vendus, même trois mois plus tard. Selon moi, ils ne sont pas allés au bout de leur mission, à savoir dire à l’opérateur que de tels chevaux ne devaient pas être présentés lors d’une vente.” Sur les deux cents poneys et chevaux présentés, un peu moins de la moitié a été vendue. “Je crois que l’éleveur à l’initiative de cette vente s’est retrouvé complètement débordé par le nombre de chevaux lui appartenant”, poursuit Mathieu Cotiniaux. “Il faut aussi savoir que les chevaux étaient visibles en amont de la vente et que les personnes intéressées pouvaient aller les voir. Pour ma part, je ne suis venu qu’à la salle des ventes, je n’ai pas vu les poneys et chevaux avant. Mais, ce qui est sûr, c’est que j’aurais sans doute eu un cas de conscience en présentant ces chevaux s’ils s’étaient trouvés à côté de moi et je n’aurais pas cautionné le transfert de propriété. Certains devaient être donnés, mais sans doute pas vendus.

“À boire et à manger dans toutes les pâtures” 

L’un des experts missionné par l’opérateur de la vente pour procéder au référencement des poneys et chevaux mis en vente n’est autre que Sébastien Jaulin, cavalier professionnel, formé au haras de la Cense et figure incontournable du travail éthologique. Aujourd’hui, Sébastien indique qu’il a accompli la mission qui lui a été confiée et a fait un état des lieux sérieux, en lien avec la réalité. “Le gérant de la société de vente m’a appelé un jour et m’a parlé de ce projet d’enchères. Il m’a indiqué qu’il fallait référencer des poneys, qui se trouvaient parmi quelque quatre cents équidés, vivant à l’état sauvage. Dans le cadre de mon travail d’éthologue, je ne vais pas cacher que cette mission m’intéressait, elle me permettait de voir les comportements adoptés dans ce contexte un peu particulier.” 

Après plusieurs réunions en compagnie de l’opérateur et de Jean-Luc Leboucher, Sébastien Jaulin et son équipe partent identifier une partie du cheptel. “Sur les deux cents que nous avons vus, une dizaine présentait des tares, et ont été évincés de la vente. Une autre dizaine présentait un état moyen et ont été signalés comme tels. Le cheval pris en photo le jour de son achat a été pour sa part décrit comme squelettique. Mais il faut quand même contextualiser : avoir dix chevaux dans un état moyen sur deux cents, au sortir de l’hiver, n’a selon moi rien d’anormal. Sur une telle population, vous aurez toujours des chevaux en meilleure forme que d’autres. Sans faire d’anthropomorphisme, c’est comme chez les humains, vous n’aurez jamais deux personnes avec le même métabolisme.” Lors de cette identification, qui a pris quelques jours, Sébastien Jaulin indique avoir eu Jean-Luc Leboucher et l’opérateur chaque soir au téléphone. “Toutes mes observations sont écrites noir sur blanc. Nous avons également regardé les pieds de tous ces chevaux qui, à notre étonnement et malgré cette vie sauvage, étaient en très bon état, à part une ponette, qui les avait vraiment très longs. Dans toutes les pâtures, il y avait à boire et à manger. Lorsque j’ai eu fini cette identification, j’ai dit à l’éleveur qu’il fallait surveiller quelques poneys inclus dans la vente. Il m’a répondu qu’ils allaient être trois mois à l’herbe et qu’ils allaient reprendre de l’état. Cela m’a paru tout à fait réalisable. Finalement, j’aurais dû revenir juste avant la vente, c’est peut-être mon seul tort, pour m’assurer que tous les chevaux dans un état moyen avaient repris durant ces trois mois. J’ai fait confiance à l’herbe et au suivi de l’éleveur.” Pour Sébastien Jaulin, un seul cas pose véritablement problème, le poney bai qu’il avait jugé “squelettique”, apparu en photo sur les réseaux. “Si ce poney est encore aussi maigre après trois mois à l’herbe, il faudrait sans doute procéder à des analyses de santé. C’est bien que les gens s’offusquent de voir des chevaux en mauvais état, ça va dans le bon sens. Mais attention aussi à l’emballement général qui, à partir d’une seule photo, peut aboutir à des conclusions parfois éloignées de la réalité.

“Davantage de précautions”

Pauline Bernuchon, qui accompagnait Sébastien Jaulin et avait pour but de rédiger des fiches sur les pedigrees des poneys et chevaux, appuie ses dires. “Nous avons passé huit jours dans les prés de Jean-Luc Leboucher et si ce que nous y avions vu nous avait déplu, on ne serait pas restés, nous n’aurions pas cautionné cela”, indique la rédactrice en chef du titre Poney As, spécialiste des pedigrees poneys. “Chaque descriptif a été envoyé à l’opérateur de la vente, avec des indications sur les origines, les aplombs et la conformation globale de l’équidé.” Pauline indique, comme Sébastien, qu’une petite minorité présentait un état très moyen, une information qui a été transmise à l’éleveur et à l’opérateur. “Après, dans un élevage, et en particulier dans celui-là, où les poneys vivent à l’état sauvage, il y a la loi du plus fort et certains se développent plus que d’autres. Quand l’homme n’intervient pas et ne prodigue pas de soins, c’est la nature qui prend le dessus. Je pense que ce qui a pêché dans cette histoire, c’est cette dernière visite, ce dernier contrôle pour voir comment avaient évolué les chevaux en l’espace de trois mois. Et celui dont on a vu la photo sur les réseaux sociaux n’aurait clairement pas dû être vendu.

Le conseil de l’opérateur, contacté, suit le dossier au jour le jour. “Mon client a des acquéreurs tous les jours au téléphone et l’éleveur, suite à cette publication sur les réseaux, refuserait maintenant de donner aux acheteurs les poneys achetés lors de la vente, ce qui n’est pas concevable. Il n’a désormais plus à décider. Si cela continue, nous nous réservons le droit d’intenter une action en justice contre M. Leboucher.” Le conseil de l’opérateur met ainsi en question la condition d’hébergement de certains équidés (“pas la majorité”, précise l’avocate), et l’effet boule de neige des réseaux sociaux. “Je pense aussi que mon client aurait dû prendre davantage de précautions quand on connaît la personnalité de cet éleveur.

Jean-Luc Leboucher : “Les gens n’ont pas lu les descriptifs”

Alors, justement, que dit l’éleveur de cet emballement sur les réseaux ? “Tout était noté sur les fiches des poneys et chevaux, le problème est que les gens ne savent pas lire”, indique Jean-Luc Leboucher. “L’état de ce cheval était bien spécifié dans son descriptif. Et, en amont de la vente, personne ne m’a téléphoné pour venir voir les poneys et chevaux à la maison. Ce cheval en question a toujours eu du mal à prendre de l’état. Il était nourri comme les autres, mais n’a jamais réussi à s’étoffer. Sur les quatre cents poneys et chevaux que j’élève, il y en a forcément en moins bon état, mais comme dans n’importe quel élevage ! Et puis, ce cheval, je l’ai vendu 2000 euros, entre la saillie d’Urano de Cartigny, sa castration et ses huit ans d’élevage, je ne pense pas avoir vraiment fait de bénéfices !” 

Jean-Luc Leboucher insiste sur le fait que la vente a été bien orchestrée, avec des experts mandatés pour le référencement, et des photos sans doute prises trop tôt après la saison hivernale. “Je suis passé par cet opérateur car je ne voulais pas les vendre en direct, je voulais que les plus faibles puissent trouver une nouvelle maison et ne pas prendre la direction de la boucherie. Et oui, tout a été transparent, les descriptifs ont été rédigés par des professionnels. Les gens, pour 1500 ou 2000 euros, ils s’attendaient à trouver des cracks ?” Outre cette transaction qui s’est mal passée, Jean-Luc Leboucher indique que d’autres clients se sont montrés contents de leur acquisition. “J’ai des personnes qui m’ont acheté six poneys et qui reviennent pour en prendre deux supplémentaires. Après, j’ai une dame qui s’est plaint du fait que sa ponette ne se laisse pas passer le licol. Mais, encore une fois, c’était bien marqué que les poneys et chevaux, pour certains, n’étaient ni débourrés, ni manipulés. L’opérateur de la vente n’a pas menti sur les équidés à vendre, les choses ont selon moi été bien faites. Et par des professionnels.” Quant au fait de ne pas vouloir donner les chevaux et poneys achetés lors de la vente, l’éleveur est très clair : “c’est complètement faux. Les clients doivent cependant prendre rendez-vous pour venir chercher leur poney ou leur cheval et ont quarante-cinq jours pour le faire. Au-delà, une pension leur est demandée. Et si des poneys et chevaux ne sont pas rattrapables dans les prés, le remboursement leur est fait. Mais j’ai eu certaines personnes qui appelaient à 22 heures pour prendre rendez-vous pour le lendemain, 8 heures. Cela n’est pas possible, ça se passe comme chez le médecin, il y a des plages horaires”. 

Que retenir de toute cette histoire ? Que l’achat d’un poney sur photo et vidéo comporte toujours une part de risque ? Que la sélection naturelle, au sein d’un troupeau, dessert certains individus et que la main de l’homme est parfois nécessaire pour les préserver ? Qu’il est rassurant que l’on s’indigne sur un cheval en mauvais état mais que les réseaux sociaux ne permettent pas toujours un jugement éclairé ? Sans doute un peu de tout cela et, avec les nouveaux moyens de communication, le débat est maintenant tout à fait ouvert et chacun se fera ici sa propre opinion.