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SOS, recherche poulinière d’urgence – Partie 2

Sylvia Flahaut 2 mai 2023

Certains poulinages connaissent malheureusement une triste issue : de tout jeunes poulains perdent leur mère ou sont trop faibles pour survivre après leur naissance. Des éleveurs mettent alors tout en œuvre pour trouver une issue moins tragique à la situation, en se mettant en quête d’une maman adoptive ou d’un poulain à sauver. Pour les y aider, des structures spécifiques et des outils existent.

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Si Equitechnic et le haras de la Cour du Chasseur répondent à une forte demande et accueillent dans un centre dédié les poulains orphelins, certains éleveurs et propriétaires, en situation complémentaire, peuvent se mettre directement en relation pour trouver des solutions à ce type de problématiques.

Pour mettre en relation les éleveurs, la plateforme Adoptmyfoal, créée par Mathieu Cotiniaux, a vu le jour en 2020. Elle a été acquise en 2021 par la société Equideos, désireuse d’offrir un service spécifique à ses clients. « Nous travaillons avec beaucoup d’éleveurs et ces derniers nous avaient fait part de cette problématique qu’ils rencontrent parfois », indique Louise Jegard, cheffe de produit chez Equideos. « Lorsqu’ils perdent un poulain ou une poulinière au moment du poulinage, quelques heures ou quelques jours après la naissance, ils ne savent pas nécessairement vers qui se tourner. Généralement, ils postent un message sur les réseaux sociaux. Ce message est souvent bien partagé mais il manque parfois d’informations importantes pour favoriser les chances d’adoption. À partir de ce constat est née la plateforme Adoptmyfoal. »

Simple d’utilisation, Adoptmyfoal demande certaines précisions aux éleveurs qui ont perdu poulain ou poulinière, et notamment la race. « On sait bien que les poulains et poulinières de plusieurs races peuvent être compatibles, mais on pourra difficilement faire adopter un Shetland par une jument de trait », poursuit Louise Jegard. « Or, cette précision ne figure pas toujours sur les réseaux. » Autre information importante pour mener à bien un processus d’adoption : la localisation. Car, souvent, il faut faire vite et de trop nombreuses heures de transport peuvent mettre en péril la vie d’un tout jeune cheval. Adoptmyfoal propose ainsi une carte intéractive, qui géolocalise les offres d’adoption et permet aux demandeurs de vite cerner les possibilités autour de chez eux. Enfin, il est également important de connaître la date de poulinage de la jument et/ou l’âge du poulain. « Il se peut qu’un poulinage se passe difficilement mais que la mère tienne le coup et décède quelques jours ou quelques semaines après la mise bas », explique Louise Jégard. « De même, un poulain peut être victime d’une septicémie et perdre la vie alors qu’il est âgé de quelques semaines. Sur les réseaux, ces informations capitales n’étaient pas toujours mentionnées. Adoptmyfoal demande ces précisions qui permettent d’optimiser les compatibilités poulain/poulinière. »

Et même avec toutes ces précisions bien exprimées en amont, il n’est pas certain que l’adoption fonctionne. « La quantité de lait de la mère, pour bien nourrir le jeune, est une donnée capitale dans le cadre d’une adoption », indique la cheffe de produit. « Généralement, le jeune consomme beaucoup de lait entre deux et quatre mois. Une mère doit ainsi disposer d’une quantité de lait suffisante pour nourrir le poulain. Et cela est compliqué d’en être sûr en amont de l’adoption. » Ainsi, de nombreux paramètres entrent en compte pour qu’une adoption se passe bien. Et si les critères semblent compatibles sur le papier, ce sont les individus et leurs caractéristiques qui rendront possible ou non leur association.

« Dans ces situations, la solidarité opère »

Lorsque une situation d’urgence se présente, il faut une réponse rapide. Et ceux qui partagent les messages de recherche sur les réseaux sociaux, pour aider les éleveurs à trouver une solution d’urgence, l’ont bien compris. « Sur cette thématique, on remarque qu’il y a une vraie solidarité », admet Louise Jégard. « Lorsque nous avons présenté la plateforme Adoptmyfoal sur les salons ou à notre clientèle, elle a été très bien accueillie. L’information a vite circulé et même des personnes qui ne sont pas professionnelles de l’élevage ont relayé le message. Le bouche à oreille à bien fonctionné. » Mais les habitudes ont la vie dure et les réseaux sociaux sont pour certains le lieu où toucher le maximum de personnes. Ainsi, Adoptmyfoal a ouvert une page Facebook pour optimiser les chances de faire réussir le maximum d’adoptions. « Nous avons de bons retours de la plate-forme : les utilisateurs nous mentionnent sa simplicité d’utilisation et apprécient la carte interactive. Notre but était vraiment de proposer un outil destiné à faciliter les échanges entre éleveurs et, surtout, gratuitement. »

Les réseaux sociaux ont notamment permis à Stéphanie Martin, installée dans l’Orne, de trouver une maman d’adoption pour son poulain l’an dernier. « Au poulinage, le poulain a perforé les tissus de sa mère et nous avons été contraints de l’euthanasier », indique la gérante de l’écurie Smart. « C’est une situation stressante que de se retrouver avec un petit sans mère. Rapidement, j’ai mis des messages sur les réseaux, notamment sur Facebook. Il y a des groupes dédiés, mais j’ai ratissé large en publiant également l’annonce dans des groupes d’éleveurs. » Stéphanie avait cependant une contrainte qui fait vite le tri dans les nombreuses propositions qu’elle reçoit : elle souhaitait que le poulain reste chez elle. « J’ai eu une première offre et je suis allée chercher une jument qui venait de perdre son poulain. Elle n’était pas très loin de chez moi », indique Stéphanie. « Mais cela n’a pas fonctionné : quand elle a posé le nez sur mon poulain, elle a baissé de suite les oreilles et l’a rejeté. Elle cherchait son propre petit et nous n’avons bien sûr pas insisté. » Preuve, s’il en fallait une, que l’adoption n’est pas toujours chose aisée : cela requiert de la patience et du savoir-faire. D’ailleurs, pour recevoir de justes conseils et faire les bons gestes, Stéphanie a contacté Bénédicte Barrier, du Haras de la Cour du Chasseur. « Elle m’a guidé de A à Z, en apaisant mes inquiétudes et en me décrivant quelle attitude la jument devait avoir devant le poulain. »

« Un moment très émouvant »

Quelques jours plus tard, c’est un entraîneur de trot, installé à Laval, qui contactait Stéphanie : il possède une jument de dix-neuf ans, qui vient de perdre son poulain. L’éleveuse a fait la route pour ramener la potentielle adoptante chez elle et l’a placée dans le box situé à côté de celui de son poulain. « Le propriétaire de la jument avait pensé à garder le placenta », indique Stéphanie. « C’est un plus et j’ai badigeonné le poulain avec cette délivrance, de façon à ce que la mère puisse en quelque sorte le reconnaître. » Les planètes se sont enfin alignées pour la propriétaire du poulain : la jument s’est mise à appeler son protégé. « Une fois mise en contact avec le petit, elle l’a reniflé puis l’a léché. C’est un moment très émouvant. » Guidé par Stéphanie, le poulain a fini par téter aux mamelles après quelques heures. L’éleveuse garde de cette expérience un certain stress, même si l’issue est heureuse. « Mes deux premières naissances de l’année se sont bien passées, c’est sûr, mais je vais forcément ressentir de l’appréhension lors des prochaines », indiquait-elle. « Ce que je retiens de cette expérience, c’est qu’il ne faut pas forcément vouloir aller trop vite ou forcer les choses. J’ai eu la chance d’avoir Bénédicte Barrier à mes côtés, qui me rassurait en me disant que j’allais forcément trouver une mère pour le poulain. Mais tant qu’on n’a pas vécu la chose, c’est difficile de prendre du recul. Nous avons appelé le poulain Myrish Smart, en souvenir de sa mère, qui était une porteuse. »

Que faire lorsqu’un poulinage se passe mal ?

  • Si le poulain ne survit pas, pensez à garder la délivrance : elle sera utile si vous proposez votre jument à l’adoption. Vous pouvez également la traire et garder le colostrum : « le colostrum, c’est de l’or », assure Bénédicte Barrier. « Ce sont les défenses du poulain. » Traire votre jument pendant maximum deux jours permet d’activer la lactation et facilitera l’adoption par la suite.

  • Si la mère ne survit pas au poulinage, il faudra la traire tout de même : cela vous permettra de récupérer le fameux colostrum et d’en nourrir votre poulain. « Il faut vraiment donner ce colostrum au poulain, sa santé en dépend. » Pour en     récupérer, vous pouvez également vous rendre dans des élevages près de chez vous. « Si le poulain n’a pas eu de colostrum, il faudra lui faire passer du plasma au-delà de 800 IgG. On peut en obtenir chez les vétérinaires équins. C’est primordial. » Bénédicte Barrier conseille également aux éleveurs d’acheter un seau de lait en début de saison, au cas où. Un poulain orphelin doit être nourri toutes les heures durant les premières vingt-quatre heures, puis toutes les deux heures. Et il doit consommer entre six et huit litres de lait par jour, pas davantage. Il peut être nourri au lait de chèvre. Si la température n’est pas élevée, pensez à la couvrir. « Les couvertures pour grands chiens conviennent parfaitement », indique Bénédicte Barrier.     

Photo : Pixabay.