L'E
L’Expérience

Albert Hermoso Farras : « J’aime beaucoup les terrains et le système français »

Emilie Dupont 10 février 2024

Il est certainement le plus français des cavaliers de concours complet espagnols et a à son actif pas moins de six championnats d’Europe, deux championnats du monde, les Jeux Olympiques de Rio et quatorze éditions du Mondial du Lion. Autant d’expériences qu’Albert Hermoso Farras n’aurait jamais imaginé vivre. Mais le bonheur de les avoir vécues ne dépassera jamais celui de vivre aux côtés des chevaux. Pour L’Eperon, le cavalier espagnol revient sur son parcours atypique, décrit son système et sa philosophie, et aborde, entre autres, le sujet du concours complet en Espagne.

Albert, vous êtes l’un des meilleurs ambassadeurs du concours complet espagnol de par vos multiples expériences. Mais avant de parler de tout cela, revenons au commencement. Comment avez-vous découvert le monde des chevaux ? Quand et comment avez-vous mis le pied à l’étrier pour la première fois ?

Je suis né dans un tout petit village d’Espagne, où vivent deux-cent-cinquante personnes l’hiver et trois cents l’été, et où l’agriculture est l’activité principale. Mon grand-père y était forgeron, il travaillait à la conception de balcons autant que de fers pour les mules et les chevaux des paysans. C’est avec lui que j’ai découvert ces animaux, qui m’ont fasciné dès la première seconde où je les ai vus. Je n’avais qu’une envie, c’était de les côtoyer. Alors j’aidais mon grand-père dans ses travaux et, en échange, il me faisait monter sur une des mules. Ça a commencé comme ça. Et puis, un jour, un de nos voisins a acheté un cheval. Je passais toutes mes après-midi avec lui, à le regarder au pré et lorsqu’il partait en balade avec son propriétaire. Je l’observais lui autant que la manière dont son cavalier le montait. Chaque jour, j’attendais pendant des heures qu’il revienne. Et puis, à force, j’ai commencé à échanger avec son propriétaire, qui m’a ensuite laissé monter l’un de ses chevaux avec lui en balade. C’est lui qui m’a appris à monter à cheval et aujourd’hui, cet homme est mon associé et je suis installé dans sa propriété. C’est une belle histoire.

Comment en êtes-vous venu au concours complet ?

La première fois que j’ai sauté avec un cheval, je revenais de balade et le propriétaire des chevaux que je montais était en train d’en faire sauter un à la longe dans la carrière. C’était assez rudimentaire, il n’avait pas de barre d’obstacle donc il faisait ça avec trois bidons qu’il mettait les uns à côté des autres. Quand je suis arrivé et que j’ai vu ça, j’étais de nouveau fasciné. Il m’a proposé d’essayer, sans pour autant qu’il sache vraiment comment il fallait faire pour sauter avec un cheval. Bref, peu après, il m’a payé mes premiers cours d’équitation dans le petit club d’à côté. Mais la première fois que j’ai vu du complet, je m’en souviendrai toute ma vie, c’était à la télévision, à l’occasion des Jeux Olympiques de Barcelone. Là encore, j’ai été fasciné par ce que je voyais. Si bien que l’après-midi même, j’ai pris l’un des chevaux et je suis allé sauter un tronc dans un champ. J’ai eu des sensations incroyables, j’étais extrêmement fier d’avoir fait ça mais ma grand-mère un peu moins (rires). À dix-sept ans, la vie m’a amené pour la première fois en France, à l’occasion d’un stage au centre national des chevaux Merens. Là-bas, j’ai appris un peu le français et j’ai découvert le système de formation français, avec les Galops, etc. Mais j’ai surtout beaucoup appris de ces chevaux, qui ont un caractère assez particulier. Quelque temps après, je suis parti en Grande-Bretagne, chez un marchand qui vendait notamment pas mal de chevaux de concours complet. C’est là-bas que, pour la première fois, j’ai monté de vrais chevaux de complet et que j’ai réellement découvert la discipline. Et puis, c’est aussi là-bas que j’ai eu la chance d’avoir mon premier sponsor, une Française qui avait une entreprise et qui m’a confié l’un des ses chevaux pour le mettre au complet. C’est d’ailleurs avec cette jument que j’ai couru mon premier international.

Comment avez-vous construit votre système ?

Au fur et à mesure, j’ai eu d’autres chevaux. Et, un jour, celui qui m’avait appris à monter à cheval m’a appelé en me disant qu’il n’arrivait plus à s’occuper de tous les chevaux qu’il avait dans ses écuries. Il m’a donc demandé si je pouvais venir l’aider, sinon il arrêtait tout. Je n’ai pas hésité une seule seconde, j’ai fait mes valises et je suis rentré en Espagne. C’est là que nous avons réfléchi et mis en place notre structure, notre système, etc. J’avais vingt-et-un ans. À l’époque, il avait de petits chevaux arabes et espagnols, moi j’aimais le sport, donc j’ai commencé avec eux. Ce n’était pas l’idéal, mais c’était tout ce que j’avais. Et puis, peu à peu, j’en ai eu d’autres et… J’en suis arrivé là. Aujourd’hui, je travaille beaucoup avec des propriétaires qui veulent valoriser leurs chevaux. Parfois j’en achète moi-même, mais c’est surtout pour le commerce. Et, c’est un peu triste mais c’est comme ça, généralement, quand j’ai un très bon cheval, je le vends. L’année dernière par exemple, j’avais Pantera Pomes, CDE (Best Before Midnight, Trak), que j’avais acheté à un an et demi et avec qui j’ai fait le Mondial du Lion. J’aurais beaucoup aimé le garder mais j’ai dû le laisser partir vers les États-Unis. Souvent, les chevaux que je garde longtemps, ce sont ceux de propriétaires qui ne veulent pas vendre. C’est parfois difficile de garder certains chevaux, mais j’ai toujours eu la chance d’avoir des propriétaires qui me font confiance et qui me soutiennent. Aujourd’hui, les choses sont bien plus faciles qu’avant pour moi et je mesure chaque jour la chance que j’ai d’entre être arrivé là et de pouvoir faire tout cela.

« Que ce soit à la maison ou à Badminton, Pau, aux Jeux Olympiques, etc., ce qui me fait le plus plaisir, c’est d’apprendre, avoir la sensation d’avoir monté correctement mon cheval »

Vous avez donc peu à peu gravi les échelons, jusqu’à représenter l’équipe espagnole à de nombreuses reprises lors de grands événements et championnats. Y en a-t-il un en particulier qui vous a plus marqué que les autres ?

Non, pas vraiment. Pour moi, chaque concours est une opportunité incroyable, quelque chose que je n’aurais jamais pensé pouvoir faire. Même le plus petit d’entre eux. Je suis parti de rien et rien ne me prédestinait à faire ce que je fais aujourd’hui. Vivre avec les chevaux, c’était mon rêve de petit garçon, je l’ai réalisé et je mesure chaque jour la chance que j’ai. Alors je profite de tout ce qui m’arrive, de toutes les expériences que je peux vivre, quelles qu’elles soient. Chacune d’entre elles est un cadeau de la vie. Ma mère, quand j’étais jeune, a souvent essayé de me dissuader de faire ce métier-là, pour me protéger, car elle pensait que je ne pourrais jamais en vivre. D’autant qu’à cette époque, il n’y avait pas de formation pour apprendre un métier en lien avec les chevaux. Mais je n’ai jamais lâché l’affaire. Que ce soit à la maison ou à Badminton, Pau, aux Jeux Olympiques, etc., ce qui me fait le plus plaisir, c’est d’apprendre, avoir la sensation d’avoir monté correctement mon cheval.

Depuis 2006, vous n’avez manqué que très peu d’éditions du Mondial du Lion. Quelle place a la formation des jeunes chevaux dans votre système ?

Oui, cela me tient à cœur de participer chaque année au Mondial du Lion. Même si tout ne se passe pas toujours comme prévu (rires). Je suis quand même tombé quatre années de suite ! J’ai réussi à briser la malédiction avec Keenabout Wonderland Z (Kannan, KWPN), que j’ai d’ailleurs emmené ici à Bordeaux pour le cross indoor. Mais oui, j’essaie toujours d’amener un cheval au Mondial du Lion. Cela, pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un concours très formateur pour les chevaux. Je forme mes jeunes chevaux en Espagne et il y a très peu de grands terrains comme ceux que l’on peut trouver dans le reste de l’Europe, les sols y sont plus durs et les concours plus petits. L’amplitude de galop ne peut pas y être la même. Alors mes chevaux n’arrivent certes pas aussi prêts que d’autres au Mondial, mais ils y apprennent beaucoup de choses. Mon objectif, c’est qu’ils y sautent bien et qu’ils y prennent de l’expérience pour la suite. En ayant participé à ce concours, ils savent ce qu’est une grande piste, un grand terrain de cross, la foule, etc. Par ailleurs, c’est un très bon moyen de valoriser les chevaux.

Albert Hermoso Farras et Keenabout Wonderland Z, ici lors du cross indoor de Bordeaux en 2024. Ph. Pierre de Coninck

Parmi les meilleurs chevaux que vous avez eu, il y a Hito CP, avec qui vous avez participé à deux championnats d’Europe, aux Jeux équestres mondiaux de Caen ainsi qu’aux Jeux Olympiques de Rio. Pouvez-vous nous parler un peu de lui et de votre histoire ?

C’est une histoire un peu atypique. C’est un cheval qui a énormément compté pour moi et que j’ai vraiment beaucoup aimé. Il est né en Andalousie, dans un élevage qui élève très bien aujourd’hui mais qui, à l’époque, avait des méthodes disons très… Traditionnelles du sud de l’Espagne, où la culture est beaucoup centrée autour de la tauromachie. Le débourrage était un peu invasif, les chevaux étaient montés avec de grosses selles, de gros mors, etc. Hito a connu ça et est resté très marqué par cette période. C’est un cheval qui, de ce fait, avait peur de l’homme. Cela n’a pas été simple de gagner sa confiance mais une fois que je l’ai eu, il a tout donné pour moi. Pour le former au mieux et en arriver là, j’ai notamment travaillé avec Jean-Luc Force, qui m’a beaucoup aidé. Objectivement, ce n’est pas un cheval qui avait les moyens pour faire tout ce qu’il a fait, à savoir les championnats d’Europe, les championnats du monde et les Jeux Olympiques. Mais il les a fait, et souvent très bien. Et il m’a beaucoup appris. Tous les chevaux nous apprennent beaucoup de choses, mais celui-ci encore plus que les autres.

« Cela fait de nombreuses années que je viens en France car j’aime beaucoup les terrains et le système français »

Il y a quelques jours, à l’occasion du cross indoor de Saumur, vous avez dit être admiratif de tout ce qui était fait en France pour notre sport et la discipline du complet. Pourquoi ? Qu’y a-t-il de plus qu’en Espagne ?

Cela fait de nombreuses années que je viens en France car j’aime beaucoup les terrains et le système français. Peut-être que l’on voit toujours l’herbe plus verte chez le voisin mais il y a une chose que j’admire vraiment, c’est que, quel que soit le concours, en France, les membres du staff fédéral sont toujours présents. Michel Asseray et Thierry Touzaint se déplacent beaucoup pour voir les cavaliers, les accompagner, les conseiller, échanger avec eux, etc. Ils sont toujours là, au bord de la piste, quelle que soit l’heure. Ils font également les reconnaissances des cross avec eux, organisent des stages en début d’année pour se préparer, un vétérinaire est toujours là… Toutes ces choses, que je trouve absolument formidables, on ne les voit pas en Espagne. Il y a un accompagnement et un soutien qu’on ne trouve pas là-bas. Et tout cela, selon moi, tout cela participe au fait que le concours complet se développe et fonctionne si bien en France, notamment à haut niveau. Et puis, en plus de cela, il y a des associations comme France Complet qui en font aussi énormément pour la discipline.

D’ailleurs, vous êtes un fidèle des Journées du complet. Pourquoi cela vous tient-il tant à cœur ?

Entre les conférences, les débats et les masterclass, c’est un rendez-vous très intéressant. Chacun y partage son point de vue et ses expériences sur divers sujets comme le bien-être animal, l’avenir de la discipline, la sécurité, la façon de préparer les chevaux, etc. C’est très enrichissant. Cela permet également de faire évoluer le sport et de le soutenir. En Espagne, le sport de haut niveau et notamment le concours complet ne bénéficie pas d’un tel soutien de la part de diverses instances. Il faut dire que c’est plus difficile. Si le saut d’obstacles est très développé et jouit de beaux événements comme Oliva, ce n’est pas le cas du complet. Il y a les CCI de Madrid et Séville et… C’est tout. Et puis, comme je le disais, les sols ne sont pas super car le terrain est très dur, les organisateurs n’arrivent pas à être rentables, il n’y a que de petites épreuves, etc. Dès que l’on a un cheval avec un peu de potentiel, il faut aller ailleurs. Cependant, comme nous le disions précédemment, en Espagne, la culture n’est pas la même. Initialement, elle est plutôt tournée vers le spectacle. Les chevaux sont plus élevés et utilisés pour les ferias que le sport. C’est comme ça, c’est la culture. Je connais des cavaliers espagnols qui sont de véritables artistes, et c’est tout aussi impressionnant.

En France, comme vous avez pu le constater lors de la dernière édition des Journées du complet, le bien-être animal est au cœur de nombreux débats, notamment en concours complet mais également dans les autres disciplines. Qu’en est-il en Espagne ? Comment le sujet est-il abordé ?

En Espagne, le sujet du bien-être animal est également abordé, oui. On en parle. De mon côté, le message que j’essaie de faire passer, c’est qu’il faut faire attention. Parfois, on se tire une balle dans le pied tout seul. Il y a des centres équestres dans lesquels les chevaux travaillent plus que ce qu’il faudrait, par exemple. D’ailleurs, le haut niveau m’inquiète moins que le reste. Les cavaliers de haut niveau sont plus conscients de cela et font plus attention, notamment car ils doivent tout à leurs chevaux et ils le savent. Mais parfois, j’ai plus peur pour les clubs et les cavaliers amateurs.

La saison ne va pas tarder à recommencer. Quels sont vos projets et objectifs pour cette année ?

À ce jour, je n’ai pas de cheval pour les Jeux Olympiques de Paris. Mais on ne sait jamais ! Cependant, j’ai plusieurs jeunes chevaux qui vont très bien et que je vais continuer de former cette saison. J’ai notamment un sept ans et deux six ans avec qui je compte faire le Mondial du Lion. Je viens également d’accueillir une jument de neuf ans très prometteuse. Je vais donc continuer à faire des concours un peu partout en Europe, avec mes chevaux, mes élèves et mes clients. Des objectifs, j’en ai, mais au-delà de ça, le plus important pour moi, c’est de pouvoir continuer à vivre avec les chevaux.

Crédit photo à la une: Pierre de Coninck