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L’Expertise

Bien-être équin : entre idées reçues et vérités

Emilie Dupont 8 décembre 2023

Les chevaux ont-ils vraiment besoin d’une couverture en hiver ? Peuvent-ils désormais se passer de nous ? Doivent-il exclusivement vivre dehors ? Ces questions – et bien d’autres encore – font souvent l’objet de débats entre les différents acteurs de la filière. Dans le podcast “Parlons cheval” de l’IFCE, Laurent Vignaud et Léa Lansade, chercheuse en éthologie équine, décryptent dix d’entre elles au sujet du bien-être du cheval.

Si le bien-être équin a pris, depuis plusieurs années, une importance croissante au sein de la filière, les positionnements, questions et débats qui lui sont liés n’ont cessé de se multiplier, au point de parfois, de ne plus permettre à chacun de démêler le vrai du faux. Pour cela et avant toute chose, il semble nécessaire de rappeler ce qu’est le bien-être. Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), il s’agit de « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que des attentes », comme souligne Léa Lansade, chercheuse en éthologie équine à l’IFCE et l’INRAE, au micro de Laurent Vignaud. « Cette définition permet de comprendre que le bien-être ne dépend pas uniquement du fait qu’un cheval est propre, bien nourri et en bonne santé. Il faut aussi prendre en compte toute la dimension mentale », ajoute-t-elle. Et si certains, au sujet du bien-être équin, optent parfois pour une position anthropomorphiste ou naturaliste, c’est finalement – comme souvent – plutôt un entre-deux qui permet de répondre au mieux à certaines questions.

Les chevaux ont-ils réellement besoin des humains ?

Cavalier, propriétaire, éleveur… Qui n’a jamais entendu l’idée selon laquelle, désormais, les chevaux ne pourraient plus vivre sans nous, humains, qui mettons tout en œuvre pour assurer leur bien-être ? Une idée largement évoquée et répandue qui, pourtant, n’est pas tout à fait vraie selon Léa Lansade. « À l’image des mustangs, beaucoup de chevaux sont retournés à leur état naturel. S’ils ont un habitat et de la place, conditions sine qua non, ils se débrouillent assez bien seuls. Ils arrivent à recomposer des groupes familiaux, à se reproduire, à se nourrir, etc. », assure-t-elle, prenant également l’exemple des chevaux de Przewalski. « Il ne faut pas oublier que les chevaux ont été domestiqués assez tardivement contrairement à d’autres animaux, comme les chiens, ce qui pourrait expliquer leur facilité à retrouver leur état naturel. » Cependant, ce n’est pas pour autant, selon la chercheuse en éthologie équine, qu’il faut à tout prix chercher à faire vivre nos chevaux au plus proche de leur environnement naturel, comme certains l’avancent. « Il ne faut pas idéaliser ces conditions. Il n’y a pas toujours à manger ni à boire, il y a des prédateurs, etc. », explique Léa Lansade, qui précise également que tous les chevaux, en fonction de leur race et de leur pays d’origine, n’ont pas le même état naturel initial. D’ailleurs, autre idée reçue décryptée par la chercheuse et Laurent Vignaud : les chevaux ne préfèrent pas nécessairement vivre au pré. « Ils aiment choisir quand ils veulent être dehors et être au box. Un peu comme les chats. L’idéal est ainsi d’avoir un pré avec un abri », indique l’experte. Enfin, il n’est pas rare d’entendre que, dans un pré, le troupeau est toujours dominé par la plus vieille des juments. À vrai dire, rien n’est acté et, souvent, c’est un peu plus complexe que cela. « Des études ont prouvé qu’il s’agissait d’une décision collective, prise en fonction d’une sorte de crédit social. Par exemple, le cheval qui entreprend souvent des déplacements menant à un point d’eau ou de nourriture a plus de chance d’être considéré comme le leader du groupe », explique Léa Lansade.

L’hiver et ses casse-têtes

Dès que les températures baissent et que l’hiver pointe le bout de son nez, c’est le casse-tête de tout cavalier ou propriétaire de chevaux : à partir de quel stade doit-on couvrir les chevaux ? Si, pour répondre à cette question, certains se fient à leurs propres ressentis de la fraîcheur hivernale, Léa Lansade rappelle que les chevaux n’ont pas les mêmes capacités de résistance au froid que nous ! « Alors que notre zone de confort thermique se situe autour des 25°C, celle des chevaux est comprise entre 5 et 25°C. Ce n’est donc que lorsque les températures deviennent négatives ou très proches de zéro qu’ils commencent à avoir froid. D’où l’importance des abris et des couvertures. »

Parmi les idées reçues hivernales, on retrouve également celle liée à la densité des poils, selon laquelle un cheval très poilu serait moins sensible. Et bien non ! Comme le souligne Léa Lansade, chez les chevaux, les poils augmentent même la sensibilité tactile. « La preuve : lorsque vous touchez le garrot avec un crin, le cheval va immédiatement frémir, quand nous, nous avons souvent du mal à sentir un cheveux sur notre index. » Pas la peine, donc, d’amplifier vos actions à cheval.

Des êtres sensibles

Plus largement, il serait mentir que de dire que les chevaux ne sont pas des êtres sensibles en tout point, et notamment en ce qui concerne nos émotions. Si l’on entend parfois dire que les chevaux sont des miroirs ou des éponges, cette idée reçue s’avère finalement juste. « Les chevaux sont capables de décrypter la plupart de nos émotions rien qu’en regardant nos expressions faciales », assure la chercheuse en éthologie équine. « D’ailleurs, ils reconnaissent également celles de leurs congénères, ce qui crée parfois des phénomènes de contagion émotionnelle : lorsque l’un d’entre eux va avoir peur de quelque chose, les autres seront également apeurés. » Et les capacités de reconnaissance des chevaux ne s’arrêtent pas là. Contrairement à ce que l’on entend parfois, ils ont « une étonnante mémoire de leurs congénères », indique Léa Lansade. « Par exemple, un poulain est capable de reconnaître sa mère même un an après le sevrage. »

Manger fractionné pour mieux manger ?

En ce qui concerne le bien-être des chevaux, l’alimentation est évidemment un point important. Outre la question de “quoi donner ?”, se pose aussi celle de “comment le donner ?”. Si le modèle de trois repas par jour est souvent utilisé dans les écuries, il ne s’agit pourtant pas du plus adapté. « Cette idée de trois repas quotidiens stricts est très humaine, dans le sens où c’est ce que nous faisons. Cependant, l’idéal pour le cheval est de grignoter un peu toute la journée et de donner le moins d’aliments concentrés possible. Cela excite les chevaux et crée parfois des tics comportementaux », explique la chercheuse.

Et enfin, toujours au sujet de l’alimentation, qu’en est-il des friandises ? Selon certains, elles pourraient parfois rendre les chevaux mordeurs. Mais, là encore, tout est une question d’analyse des situations. « Si elles sont données n’importe comment, sans but précis, cela peut inciter les chevaux à ensuite faire les poches et, parfois, utiliser les dents pour cela. En revanche, si les friandises sont utilisées dans un cadre bien défini comme celui de l’apprentissage, les chevaux comprennent qu’il y a des règles et ne deviennent pas mordeurs », précise Léa Lansade. D’ailleurs, comme l’ont prouvé de nombreuses études dont certaines menées par la chercheuse, l’utilisation de friandises est bénéfique lors d’un débourrage par exemple. « Nous avons montré que si l’on respecte bien les règles pour donner une récompense, cela accélère le processus d’apprentissage. Les chevaux sont débourrés plus vite et dans un meilleur confort. Les friandises font baisser leur taux de cortisol, et donc leur niveau de stress physique et émotionnel. Cela va ainsi dans le sens de leur bien-être », conclut l’experte.

Crédit photo à la une: Pixabay