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L’Expérience

Nouvelle réglementation WBFSH/FEI : un atout pour les éleveurs de chevaux de dressage français ? 

Emilie Dupont 7 septembre 2023

Ces derniers jours, la nouvelle a fait grand bruit dans la sphère du dressage tricolore : à partir de 2025, les jeunes chevaux de dressage sélectionnés pour participer aux championnats du monde devront être inscrits dans l’un des stud-books nationaux du pays qu’ils représentent. Une mesure valorisante pour certains, excluante pour d’autres mais qui, selon Caroline Rioche, directrice de la commission Dressage à la SHF, et Didier Dupeyrat, référent des juges au sein de France Dressage, devrait permettre de mieux mettre en avant le travail des éleveurs français pour la discipline. Explications.

Voilà une nouvelle à laquelle certains ne s’attendaient pas. Mais qui, pourtant, comme l’indique Caroline Rioche, était prévisible. « Depuis plusieurs années, le règlement édité par la World breeding federation of sport horses (WBFSH) précisait que la priorité devait être donnée aux chevaux inscrits dans l’un des stud-books nationaux du pays qu’ils représentent lors de la sélection pour les championnats du monde Jeunes chevaux. Raison pour laquelle nous avions adapté, à la SHF, nos modes de sélection pour que les chevaux Selle Français et Anglo-arabes ayant obtenu les minimas soient prioritaires sur ceux inscrits dans un stud-book étranger. Ces préconisations ont notamment été mises en place par la WBFSH afin de faciliter la transition vers cette nouvelle réglementation, qui sera en vigueur en 2025 », explique la directrice de la commission Dressage à la SHF, qui précise également que, si ce changement a été entrepris par la WBFSH, il émane d’une demande faite, depuis plusieurs années, par certaines nations. 

Il faut bien admettre qu’il peut paraître un peu étonnant, à première vue, que lors d’un championnat du monde Jeunes chevaux – qui reste un événement d’élevage – un pays présente parfois des produits qui ne sont ni nés sur son territoire, ni inscrits dans l’un de ses stud-books. À titre d’exemple, cette année à Ermelo, la France a présenté six chevaux : aucun n’était inscrit dans un stud-book tricolore et seul un était né en France. Bien sûr, notre pays n’était pas le seul. Mais certaines nations ont  déjà, en interne, intégré cette mesure à leur règlement, comme la Belgique, l’Espagne ou encore le Danemark, qui ne présentent ainsi plus que des chevaux inscrits dans leurs propres stud-books. Que va-t-il alors advenir des pays qui n’ont pas de chevaux éligibles ? Si la question a été posée à la WBFSH sans qu’aucune réponse ne soit apportée, selon Caroline Rioche, la France, elle, devrait être prête pour ce changement.

Développer et faire connaître l’élevage français

Depuis plusieurs années déjà, la France, avec la Société hippique française, l’association France Dressage et les stud-books Selle Français et Cheval de Dressage Français, travaille à développer son élevage de chevaux de dressage, en organisant compétitions, circuits de valorisation et approbations. « De ce fait, nous avons déjà un vivier de chevaux de qualité, qui devraient pouvoir prétendre aux sélections », indique Caroline Rioche. 

« Faire savoir au monde entier qu’en France nous faisons naître des chevaux de dressage et qu’en plus, ils sont bons parce que nos éleveurs ont un vrai savoir-faire, c’est important »

Caroline Rioche

Par ailleurs, pour la directrice de la commission Dressage à la SHF, cette nouvelle mesure sera, entre autres, un coup de pouce pour le développement de l’élevage et la discipline. « Cette mesure va obliger la France à développer son élevage de chevaux de dressage et à se faire reconnaître comme une nation d’éleveurs pour la discipline. Même s’il nous est parfois reproché l’utilisation de sangs étrangers, il ne faut pas négliger le fait qu’aujourd’hui, il y a bon nombre d’éleveurs de chevaux de dressage en France et que ces réglementations leur permettent de mettre en lumière et de valoriser leur travail et leurs produits. Quand, sur les concours étrangers, un cheval est présenté KWPN, même s’il est né en France, personne ne le sait. Alors qu’avec la mention SF et CDF, on le sait tout de suite. Faire savoir au monde entier qu’en France nous faisons naître des chevaux de dressage et qu’en plus, ils sont bons parce que nos éleveurs ont un vrai savoir-faire, c’est important », pointe Caroline Rioche, qui souligne également que les quotas attribués à chaque nation par la WBFSH et la FEI étant basés sur le nombre de naissances annuelles dans un stud-book, au fur et à mesure, la France devrait ainsi avoir plus de places – et donc plus de visibilité – lors de cette grande échéance que sont les championnats du monde.

Entre liberté et avantages

Si l’annonce de cette mesure a parfois suscité quelques vives réactions de la part d’éleveurs français inscrivant leurs protégés dans des stud-books étrangers, Caroline Rioche tient à rappeler que « chacun reste libre et peut enregistrer ses chevaux au stud-book de son choix. Rien n’oblige non plus à les présenter aux championnats du monde. Le fait de pouvoir inscrire ses produits dans un stud-book français est un plus pour les éleveurs, mais en rien une obligation ». Aucune obligation, donc, mais pour Caroline Rioche, les éleveurs ont parfois à gagner à enregistrer leurs produits dans l’un des stud-books français. « La France est le seul pays où le ministère de l’Agriculture aide financièrement les stud-books. Contrairement à de nombreuses autres nations, nous avons donc la chance d’avoir des subventions de la part de l’État. Cela signifie qu’aujourd’hui, quand un éleveur inscrit son cheval aux stud-books Selle Français ou Anglo-arabe – et bientôt au Cheval de Dressage Français –, il aura droit à des aides comme la prime PACE, le Programme Jeunes Génétique, etc. Il y a donc des intérêts à inscrire dans les stud-books nationaux car il y a tout un système mis en place pour aider l’élevage en France. » 

Néanmoins, pour certains, l’affixe Selle Français reste, pour le moment, encore trop peu connu et réputé dans le monde du dressage, faisant ainsi pencher la balance vers des stud-books allemands ou néerlandais, par exemple. Un argument qui, selon Caroline Rioche, n’est plus valable aujourd’hui, et qui semble également avoir fait son chemin dans la tête de certains éleveurs français.

Un changement, de nouvelles perspectives 

Éleveuse de chevaux de dressage depuis près de vingt ans, Mélanie Gutzwiller a longtemps inscrit ses protégés à l’affixe “de Neuhof” dans des stud-books allemands, à l’instar, ces dernières années, du Oldenbourg. « Ne nous mentons pas : pour moi comme pour beaucoup, à l’époque, un bon cheval de dressage était forcément un cheval allemand. En inscrivant mes chevaux dans des stud-books étrangers, j’avais plus de chances de les vendre », admet celle qui, étant installée près de la frontière allemande, y a aussi vu quelques intérêts pratiques concernant l’import de semence, l’approbation et la valorisation des poulains. Néanmoins, Mélanie Gutzwiller le remarque et le souligne, les mentalités ont évolué depuis quelques années. Et cette nouvelle réglementation pour les championnats du monde Jeunes chevaux n’a fait qu’accélérer un peu plus ce changement. « Pour un éleveur, c’est toujours un plaisir de voir ses protégés sur les terrains de concours. Et participer aux championnats du monde Jeunes chevaux… Wow. Quand on l’a vécu une fois, on a qu’une envie, c’est d’y retourner. C’est tellement valorisant. Mais désormais, pour cela, il faudra inscrire dans un stud-book français. Car il y a tout de même peu de chance que l’un de nos chevaux soit pris dans l’équipe allemande, qu’on se le dise. Donc ça incite au changement. Néanmoins, certains puristes entre guillemets continueront d’élever et d’inscrire leurs chevaux dans des stud-books étrangers.» Et outre l’aspect valorisation, impossible ne pas aborder, avec cette nouvelle règle, l’aspect financier. « Les primes sont actuellement déjà réduites sur les circuits nationaux français pour les jeunes chevaux étrangers et je pense qu’à terme, elles seront supprimées. Si les éleveurs, cavaliers, propriétaires n’y ont plus accès, c’est quand même pénalisant. Pour toutes ces raisons, il est aussi normal que de plus en plus de monde se tourne vers le Selle Français », explique l’éleveuse, qui envisage donc désormais d’inscrire ses protégés uniquement dans l’un des stud-books tricolores. 

« Commercialement, je pense que de nouvelles portes vont s’ouvrir »

Mélanie Gutzwiller

Par ailleurs, Mélanie Gutzwiller l’a également constaté : pour des raisons similaires aux siennes, les cavaliers Jeunes chevaux cherchent et demandent de plus en plus de Selle Français. « J’ai déjà eu plusieurs demandes. Commercialement, je pense que de nouvelles portes vont s’ouvrir », affirme l’éleveuse qui, l’année prochaine, devrait faire naître deux à trois nouveaux Selle Français. Si elle ne voit ainsi pas ce changement d’un mauvais œil, Mélanie Gutzwiller tient tout de même à souligner que, pour que le plus grand nombre effectue cette transition, quelques points sont à améliorer, comme le catalogue des étalons approuvés Selle Français.

« La qualité des chevaux de dressage français ne cesse de s’améliorer »

Référent des juges au sein de l’association France Dressage, Didier Dupeyrat l’affirme, « d’année en année, la qualité des chevaux de dressage français ne cesse de s’améliorer ». Un constat appuyé par l’augmentation du nombre de chevaux obtenant une moyenne supérieure à 80% (comprenant les notes de modèle et allures) lors des épreuves qualificatives. « Aujourd’hui, cela concerne 25 à 30% des chevaux que nous jugeons », indique l’expert, qui tient également à souligner l’engagement et la motivation des éleveurs français pour faire naître des chevaux sans cesse meilleurs. « Les éleveurs ont vraiment envie d’améliorer la qualité des chevaux qu’ils font naître. Ils conservent leurs meilleures juments – qu’ils ont déjà bien améliorées par rapport aux mères – et les croisent avec des étalons de qualité. » Cela vaut bien évidemment pour les chevaux nés en France et inscrits dans un stud-book tricolore, notamment le Selle Français qui, Didier Dupeyrat le reconnaît, n’a pourtant pas toujours eu la cote dans le milieu du dressage. « Les chevaux inscrits au stud-book Selle Français représentent actuellement 40 à 50% des chevaux de dressage nés en France. Cela signifie qu’une grande partie de ces derniers sont encore inscrits dans des stud-books étrangers, notamment car, pour beaucoup de gens, le Selle Français n’était jusqu’alors pas synonyme d’un cheval de dressage de qualité, mais était plutôt reconnu pour ses chevaux de saut d’obstacles et de concours complet. Mais petit à petit, les éleveurs de chevaux de dressage tricolores, qui ont peut-être anticipé cette nouvelle réglementation, ont commencé à inscrire leurs produits dans ce stud-book et on voit de ce fait apparaître des Selle Français de dressage de très bonne qualité, avec une belle locomotion, une bonne conformation et un très bon mental, typique de la race », explique Didier Dupeyrat. Des qualités également pointées par les juges étrangers qui interviennent lors des finales France Dressage. « Tous les ans, ils nous disent que la qualité s’améliore et que les dix premiers chevaux de chaque catégorie sont vraiment au niveau de ce que l’on peut voir dans les autres pays », indique le référent des juges au sein de l’association France Dressage. Gratifiant et encourageant. Mais il n’y a pas que les juges que les chevaux nés en France et inscrits dans un stud-book français ont convaincu. « Les cavaliers de dressage et les investisseurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers ces chevaux », affirme Didier Dupeyrat.

« Le train est désormais en marche et beaucoup d’éleveurs vont essayer de le prendre, de jouer le jeu. Cette réglementation va être un vrai coup d’accélérateur »

Didier Dupeyrat

De plus en plus nombreux

Par ailleurs, pour se préparer à cette nouvelle réglementation, comme le souligne l’expert, nombre d’éleveurs ont également tenu à faire labelliser leurs juments “facteur de Selle Français” afin de produire dans ce stud-book. « Nous en labellisons de plus en plus chaque année. Le train est désormais en marche et beaucoup d’éleveurs vont essayer de le prendre, de jouer le jeu. Cette réglementation va être un vrai coup d’accélérateur pour le stud-book Selle Français », affirme Didier Dupeyrat, qui tient également à rappeler que le stud-book du Cheval de Dressage Français devrait également se démarquer sur ce point et grâce à la qualité des chevaux qui y sont inscrits. « J’ai vu beaucoup de chevaux appartenant au stud-book CDF et ayant de grandes qualités. Je pense qu’en 2025, ils auront aussi une carte à jouer aux championnats du monde et pourront créer la surprise. » D’ailleurs, comme le note Caroline Rioche, le nombre de naissances de chevaux de dressage dans les stud-books tricolores ne cesse d’augmenter. « Cette année, nous allons dépasser les cent naissances au Cheval de Dressage Français, ce qui est impressionnant pour un si jeune stud-book. Quant au Selle Français, on est quand même autour des trois-cent-cinquante chevaux. C’est vraiment de très bon augure pour la suite. Les choses bougent. »

Aller plus loin

Si la France a ainsi mis en place beaucoup de mesures pour développer au mieux son élevage de chevaux de dressage, Caroline Rioche le confie, elle aimerait aller encore plus loin en créant, par exemple, un vrai programme d’élevage, qui accompagnerait et détecterait les meilleurs chevaux, qui formerait les cavaliers, etc. « Cela devrait finir par se mettre en place un jour. Si on veut pouvoir intensifier notre démarche, il faut que nous mettions tous les organismes concernés autour de la table. » Parmi les points les plus importants à développer selon la directrice de la commission Dressage de la SHF : la formation des cavaliers. « Il nous faut plus de cavaliers susceptibles de former les chevaux de dressage que les éleveurs français font naître. Nous sommes d’ailleurs en réflexion pour mettre en place un label dédié aux formateurs de jeunes chevaux de dressage, comme il en existe en saut d’obstacles et en concours complet. Cependant, ces deux disciplines n’ont pas les mêmes besoins que nous. Il faut que nous trouvions un moyen de former et accompagner nos cavaliers de jeunes chevaux de dressage qui soit cohérent avec la discipline. »

Alors que, pendant de nombreuses années, le cheval Selle Français de dressage a ainsi souffert d’une réputation remettant en cause ses qualités, la donne semble être en train de changer. Bien sûr, tout reste encore à prouver. Rendez-vous donc en 2025, mais également le 9 septembre prochain à 18h30, à Fontainebleau, à l’occasion d’une réunion d’information organisée par le stud-book Selle Français et l’association France Dressage sur le programme Selle Français Dressage.

Crédit photo à la une: Eric Knoll