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L’Expérience

Pascal Trassart : « Ne pas laisser de place au hasard, même si l’élevage n’est pas une science exacte » 

Emilie Dupont 9 mars 2024

Kapitol d’Argonne, Baccarat d’Argonne ou encore Varennes d’Argonne. Ces noms-là ne vous sont certainement pas inconnus. Tous les trois se sont brillamment illustrés sur les scènes nationales et internationales, quelques années après avoir vu le jour chez Pascal Trassart. Installé dans la Meuse, ce dernier fait naître depuis plus de quarante ans, toujours avec passion et réflexion, de très bons chevaux de saut d’obstacles et de complet. À l’aube de la saison de monte, il nous a fait part de ses choix de croisements. 

Combien de poulains faites-vous naître chaque année ? 

Lorsque j’ai commencé l’élevage il y a quarante ans, je ne faisais naître qu’un seul poulain par an avec ma jument Pur-sang, Queen Sound (King Sound, PS). Mon premier croisement a été entre elle et un étalon qui me plaisait beaucoup, Nidor Platière. Elle m’a donné de très bons produits, qui se sont illustrés à haut niveau en saut d’obstacles. J’ai d’ailleurs par la suite gardé l’une de ses filles à l’élevage, Talara d’Argonne (Boniface, PS), qui a pour sa part produit de très bons chevaux de concours complet et de saut d’obstacles, à l’instar de Dundee d’Argonne (Nidor Platière), qui a fait le Mondial du Lion, a ensuite tourné jusqu’en CCI3* puis sur des épreuves cotées à 1,40 mètre, ou encore d’Idaho d’Argonne (Bamby des Forêts), qui a notamment été médaillé d’argent aux Jeux Panaméricains en concours complet. Talara d’Argonne est d’ailleurs l’une des rares juments en France à avoir produit quatre chevaux ayant participé au Mondial du Lion. Bref, ma femme, Sylvie, et moi avons eu la chance de commencer l’élevage avec une super jument, qui nous a rapidement donné de très bons chevaux. Aujourd’hui, nous avons toujours la chance d’avoir de très bonnes poulinières, qui nous permettent de faire naître une dizaine de poulains chaque année. Pour 2024, nous en attendons douze.

Baccarat d’Argonne et Morgane Euriat, ici lors du Grand National du Haras du Pin en 2020. Ph. Eric Knoll.

Sur quelles souches maternelles votre élevage repose-t-il ?

Nous avons deux types de souches maternelles : une orientée concours complet, qui représente 25% de notre élevage, et l’autre orientée saut d’obstacles. Cependant, toutes nos juments ont en commun le fait d’avoir beaucoup de sang et un très bon mental, ce qui permet parfois de voir certains de nos poulains finalement s’illustrer en concours complet alors que nous avions pensé le croisement pour du saut d’obstacles. Pour le complet, nous utilisons toujours la souche de Talara d’Argonne. Pour le saut d’obstacles, nous nous appuyons encore sur celle de Kapitol d’Argonne, c’est-à-dire celle de Lady de Rhuys (Fair Play III) et de Gazelle, DS (Roscof B), qui est la propre soeur d’Amande (Dumbea), exportée en Belgique et à l’origine de la désormais célèbre lignée des van’t Roosakker. Nous travaillons aussi à partir d’une autre souche bien connue, celle de Sophie du Château avec l’une de ses petites-filles. Puis, nous avons la souche de Bourrée, celle de Toscane du Mûrier, celle d’Almandine et celle de Flore de l’Erdre. Nous avons privilégié des souches maternelles reconnues et confirmées afin de faire naître de très bons chevaux. Nous essayons de ne pas laisser de place au hasard, même si l’élevage n’est pas une science exacte. 

Quels étalons avez-vous sélectionnés cette année ?

Tout n’est pas encore définitif. Nous pensons marier la propre sœur de Kapitol, Une Star d’Argonne (Apache d’Adriers), de qui nous attendons actuellement un poulain de Check In, Old, avec Armitages Boy, Old. Une Dame d’Argonne (Quidam de Revel), soeur utérine de Kapitol, sera pour sa part adressée à Omano BC, étalon assez peu utilisé mais que j’estime très intéressant car il est un des rares fils de Cumano, Holst et a une très bonne mère, Sapphire, Bwp (Darco, Bwp). Caluma d’Argonne (Canturo, Holst), qui est quant à elle une nièce de Kapitol, ira de nouveau à Armitages Boy, Old. C’est un croisement que nous avions déjà réalisé et grâce auquel nous avons eu Kerloury d’Argonne, qui a aujourd’hui quatre ans et est plein de qualités. Autre nièce de Kapitol : Hokong Star d’Argonne (Untouchable 27, KWPN), qui est actuellement pleine d’Halifax van het Kluizeboz, Bwp, et qui ira pour la saison prochaine à Candy de Nantuel*GFE. Itoki Blue d’Argonne (Catoki, Holst), toujours issue de la souche de Kapitol, attend de son côté un poulain d’El Barone Z, et ira ensuite à Big Star, KWPN. Je pense également marier Goodtimes d’Argonne (Elvis Ter Putte, Bwp) à Macho Man*GFE, qui présente selon moi beaucoup de qualités dont de l’influx et du sang. Notre petite-fille de Sophie du Château et sœur utérine d’Amant du Château, Lunabella du Château (Cornet du Lys, Westf), devrait pour sa part faire l’objet de plusieurs transferts d’embryons fin mai, dont un avec Bond Jamesbond de Haye. Notre représentante de la souche de Gnomide et de Bourrée, Fraulein du Ventel (Comme Il Faut, Westf), est pleine d’Uriko, KWPN, et nous sommes encore en réflexion en ce qui concerne le prochain croisement. Nous pensons également marier Harietal d’Argonne (Bamako de Muze, Bwp), issue de la souche de Toscane du Mûrier, à Dollar du Rouet. Notre petite-fille d’Almandine (Almé), Sundew d’Engandou (Iowa, KWPN), qui a tourné jusqu’en CSI3* sous couleurs suisse, sera elle aussi saillie par Big Star. Enfin, pour la partie concernant nos juments de saut d’obstacles, notre Mirage d’Argonne (Concorde, KWPN), issue de la bonne souche de Taiga du Banney (Narcos II) via Flore de l’Erdre, aura son dernier poulain cette année avec notre jeune étalon maison Glenn d’Argonne. Elle est une jument tonique et avec de superbes allures qui a eu une production très polyvalente, et lui l’est également puisqu’il avait été qualifié pour les finales de Pompadour et Fontainebleau, et il produit de très poulains avec du sang et une belle locomotion. Glenn est d’ailleurs l’un des rares représentants de la jeune génétique que nous utilisons pour nos juments orientées saut d’obstacles. Généralement, nous préférons nous tourner vers des étalons confirmés, au moins sur performance et, si possible, également sur descendance. J’aime pouvoir voir les étalons qui m’intéressent au moins durant une saison sous la selle. Cela permet de voir le mental de ces jeunes chevaux, leur respect et leur facilité d’utilisation, ce que l’on ne peut pas vraiment voir chez des chevaux de deux ou trois ans. Enfin, en ce qui concerne nos poulinières orientées concours complet, Qado d’Argonne (Damiro B, KWPN), issue de la lignée de ma toute première jument Pur-sang et qui s’est illustrée jusqu’en Pro 1 avec Gilles Viricel avant d’être exportée en Italie, attend un poulain de Cooper VD Heffinck, Daylight d’Argonne (Grafenstolz, Trak), que l’on a pu voir jusqu’en CCI3*, est pleine d’Itoki de Riverland*GFE, et Italic d’Argonne (Kapitol d’Argonne), également issue de notre lignée Pur-sang, aura son premier poulain l’année prochaine avec Grafenstolz, Trak, qui amène du look et une belle locomotion. Par ailleurs, en concours complet, nous sommes moins frileux à utiliser la jeune génétique, la discipline laissant, selon moi, plus de liberté en termes de croisements. Pour ceux de 2024, nous pensons donc utiliser Jacadi du Paradis (Clarimo, Holst), que nous avons pu voir à Saint-Lô.

Daylight d’Argonne et Thibaut Champel, ici lors du CCI2*-L de Jardy en 2020. Ph. Eric Knoll.

Quelles qualités recherchez-vous à travers vos croisements ?

Nous avons des juments très modernes, vraiment typées sport, avec beaucoup d’énergie. Celles-ci, nous les croisons généralement avec des étalons qui apportent du cadre. Nous avons également des juments avec un modèle plus imposant, mais toujours avec beaucoup de sang, que nous marions la plupart du temps avec des étalons plus modernes, qui amènent de l’étendue dans les allures. Nous essayons toujours de conserver le sang, l’influx et la qualité de saut, surtout pour nos chevaux de concours complet, que nous voulons par ailleurs sur un beau modèle AQPS. Le mental est également très important pour nous. Pour nos chevaux de saut d’obstacles, nous cherchons à avoir un très bon équilibre, avec la faculté de galoper facilement sur les hanches. Nous voulons également des chevaux très toniques dans leur façon de sauter, avec beaucoup de frappe et d’agilité, qui sont souvent liés au respect.

Crédit photo à la une: Coll. privée